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EPS: 5 astuces de Jean-Luc UBALDI pour transformer les élèves

Tu trouves qu’il n’est pas toujours facile de transformer tes élèves durant une leçon d’EPS. Qu’il y a de nombreux paramètres à prendre en compte lors de ta préparation de leçon et ensuite sur le terrain face à ta classe.

Ma nouvelle série d’interviews « Les 5 astuces pour transformer les élèves durant une leçon d’EPS » a pour objectif de t’apporter des outils concrets pour te sentir plus à l’aise face à tes classes.

Si tu souhaites bien comprendre le principe et la trame de chaque interview, cette vidéo de 2 minutes va tout t’expliquer 😉

Pour la toute première interview d’une longue série (je l’espère!), j’ai eu l’honneur et le grand plaisir d’échanger avec une personnalité reconnue dans le monde de l’EPS: Jean-Luc UBALDI.

Sans plus attendre, je te laisse prendre connaissance des 5 astuces de Jean-Luc.

Si tu as des questions, des remarques suite à cette interview, tu peux les laisser dans la partie commentaires sous la vidéo YouTube ou dans les commentaires en bas de cet article 😉 Je t’invite également à apporter « ton pouce à l’édifice » en cliquant sur le pouce bleu sous la vidéo YouTube afin d’améliorer le référencement de cette interview.

3 possibilités s’offrent à toi pour suivre cette interview: la vidéo YouTube (lien ci-dessous), la bande son (en dessous du lien vidéo) ou l’article (en dessous de la bande son).

Tu souhaites écouter cette interview sous forme de podcast? Par exemple, dans les transports en commun ou pendant ton footing, pendant une balade dans la nature…Clique sur le bouton ci-dessous:

Les 5 astuces de Jean-Luc UBALDI pour transformer les élèves durant une leçon d’EPS

Régis GALEK : Bonjour à toutes et à tous, je vous propose aujourd’hui la première interview de ma nouvelle série « les 5 astuces pour transformer les élèves durant une leçon d’EPS ».

Je reçois un invité de marque aujourd’hui. Une personnalité reconnue dans le monde de l’EPS. Si je vous parle de « double boucle », de « ligne jaune », de « chenille en natation », vous avez deviné ? Et oui, il s’agit bien évidemment de Jean-Luc UBALDI. Alors grand merci à toi Jean-Luc d’avoir accepté cette interview et de nous partager tes 5 astuces.

leçon d'EPS milieu difficile

Nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises lors des évènements CEDREPS à Lyon, en 2016 lors d’un week-end AEEPS à Nancy. Ce que j’apprécie beaucoup chez toi, c’est ta grande passion pour l’EPS qui est vraiment communicative quand tu fais tes interventions. J’apprécie aussi beaucoup ta grande générosité, quand tu partages tes connaissances avec les étudiants et les différents collègues. C’est donc un grand honneur pour moi aujourd’hui de t’interviewer. Je suis vraiment content de t’avoir à mes côtés.

Même si tout le monde te connait (ou presque) dans le domaine de l’EPS, est-ce que tu peux brièvement nous rappeler ton parcours professionnel dans un premier temps ?

Parcours professionnel de Jean-Luc UBALDI

Jean-Luc UBALDI : Merci Régis. C’est un honneur pour toi et un grand plaisir pour moi d’être avec toi et avec ceux qui partagent des petites émissions que je trouve très sympathiques. J’espère qu’elles auront du succès pour ta série.

Je suis certifié d’EPS depuis 1978 (donc ça fait quelques années) et nommé en REP en 1982. Je suis resté plus de 25 ans dans ce collège de Villeurbanne. Quand l’Agrégation a été ouverte en 1980, je me suis dit Jean-Luc ça ne te peut pas te faire de mal. J’ai réussi cette agrégation en 1989. Puis j’ai été recruté à l’IUFM qui fut l’expérience la plus inoubliable de ma carrière. C’était un temps de formation et de structuration personnel fondamental d’avoir des élèves et d’avoir ce temps en formation. J’arrivais à faire des cours de natation le mercredi matin, et le mercredi à 14h j’avais des cours de TD d’écrit 2 à l’UFRAPS. Je faisais le même cours aux étudiants qu’à mes élèves !

J’ai trouvé cela extraordinaire pour moi et pour les étudiants, je l’espère aussi. Puis un jour, j’ai accepté la Direction Adjointe de l’IUFM puis de l’ESPE puis de l’INSPE. Et c’est encore aujourd’hui le travail que j’effectue mais en restant proche de l’EPS avec le CEDREPS.

R.G: Donc tu interviens avec des enseignants autres que l’EPS actuellement ?

J-L. U : Tout à fait, j’interviens beaucoup d’ailleurs avec des stagiaires en Histoire-Géographie, de Français, d’Arts Plastiques. J’éprouve tous les jours les cadres que l’on a construits en EPS. Je fais découvrir à nos jeunes collègues d’Histoire et de Français ce qu’est une « ligne jaune » dans leurs cours, ce qu’est un « ciblage » (qu’ils comprennent très vite). Cela correspond à ce qu’ils ont besoin. Également les « savoirs médiateurs » et « fil rouge ». Cela m’amuse et je ne me sens pas décalé avec ma partie EPS avec d’autres disciplines.

R.G: C’est complémentaire entre les différentes disciplines. Donc, nous voyons un parcours professionnel très riche avec des journées bien chargées, comme tu nous le disais. On rentre immédiatement dans le cœur de l’interview avec tes 5 astuces. Avec toute ton expérience et avec toutes ces années dans lesquelles tu as baigné dans le monde de l’EPS, quelles sont pour toi les 5 astuces pour transformer les élèves durant une leçon d’EPS ?

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Les 5 astuces de Jean-Luc UBALDI pour transformer les élèves en EPS

J-L. U : Le mot « astuce » m’a un peu perturbé. Je vais plutôt vous aiguiller vers des étapes ou des moments forts qui ont construit ma carrière, qui ne s’est pas construite la première année! Quelques fois, j’ai mis 15 ans à comprendre certaines choses, mais à l’issue du parcours, je les rassemble en 5 astuces. La double boucle a mis 10 ans à émerger, le ciblage c’est 20 ans. Il faut que les collègues comprennent la temporalité.

Simplifier avec cohérence

La première chose que je souhaite vous partager et qui je pense m’a sauvé la vie, qui a construit tout le reste, c’est qu’à un moment donné, j’étais prisonnier des carcans universitaires ou de prescription des inspecteurs sur ce qu’on devait faire en EPS. Un jour, j’ai pris conscience que notre confort de professeur n’est pas aussi important que la cohérence mais en tout cas, si l’on ne fait pas attention à mettre en tension le confort et la cohérence, on ne va pas bien loin. Cela a mis peut-être 1 an ou 2 dans une temporalité mais un jour, se dire d’aller au plus simple, parce qu’à vouloir toujours faire ce que les « champions du monde » disent de faire, on n’y arrive pas.

Donc ça c’est le premier deuil. Il faut quand même admettre qu’un jour, on n’est pas capable de faire ce que le prescripteur dit de faire et c’est terrible. Mais après on s’y fait, on se dit que l’on va simplifier de plus en plus mais sans lâcher la cohérence car c’est toujours la limite de tout ce que l’on essaie de faire dans la simplicité et le confort. Cela m’a permis de durer (et je ne pense pas que mes élèves en aient pâti), que moi je sois en forme, que moi je puisse être toujours dynamique, toujours avoir le plaisir d’être avec eux. Donc confort-cohérence, cette tension me parait fondamentale.

Pour ça, j’ai dû déblayer fort, je vais essayer de donner 2-3 exemples. Pour déblayer le terrain de la complexité, il faut couper dans le tas, c’est-à-dire en natation on passe d’ateliers mirobolants sur l’équilibre, la respiration à un sprint de 15 mètres. En gym, on passe de 20 ateliers où il faut tourner, balancer partout à un atelier de tourner en avant avec pose des mains. En danse, il y a 5 composantes et un jour on se dit qu’on ne va en faire plus qu’une.

Donc on est amené dans cette recherche de confort et de cohérence à développer ce que j’appelle « la grande boucle » c’est-à-dire des éléments de ritualisation et de confort et qui permettent d’enseigner tous les jours. Et puis le « ciblage » c’est-à-dire que lorsque l’on veut tenir la cohérence dans une tension « confort-cohérence », on ne peut pas être cohérent sur tout, et un jour il faut choisir sur quoi l’on est cohérent.

Un dernier exemple pour étayer tout cela est qu’un jour j’ai été un grand applicateur du cognitivisme dans les années 1980-1990. Il fallait faire le « CDR » ou le « double CDR », « contextualisation-décontextualisation-recontextualisation » (c’était la théorie à l’époque). J’ai fait cela durant 6 mois puis j’ai abandonné. Et là, je suis passé en « grande boucle » : ça signifie « on fait des matchs » à répétition. J’en ris aujourd’hui mais ce n’était pas facile à l’époque.

R.G: Vu ton contexte professionnel, travaillant en REP+ pendant des années durant, je pense que cela t’a amené à aller rapidement chercher ce confort et cette cohérence.

J-L. U : Je n’ai pas eu le choix. Il fallait prendre tous les jours la voiture pour aller travailler. Il fallait arriver dans un gymnase tous les jours pendant 25 années. Je n’ai pas eu le choix mais je ne regrette rien, j’ai tout assumé. Ce qui sera le plus dur à faire pour des collègues c’est de tout assumer. J’ai eu la chance qu’au bout de 6 mois en REP, je puisse tout assumer, assumer tout ce que j’ai fait. Et tous ceux qui donnent des leçons, tu les laisses où ils sont ! J’ai été traité « d’animateur » à Lyon pendant des années. On ne me prenait pas au sérieux pourtant j’ai beaucoup appris à mes élèves.

R.G: Donc ce que tu dis aux collègues et aux étudiants, c’est à un moment donné, de ne pas hésiter à vraiment faire des choix, à cibler et arrêter de vouloir être dans des ateliers multiples en natation, en gym, en arts du cirque etc. Et à simplifier pour que les élèves puissent apprendre.

J-L. U : C’est exactement ça. Cela prend des années, en danse par exemple, c’est 15 ans de travail pour simplifier la danse. La gym prend aussi 15 ans pour la simplifier ! Heureusement, j’étais avec Alain COSTON pour travailler cette question en gym. C’est un processus très long, il faut simplifier. Tu évoquais les professeurs d’Histoire-Géographie, plutôt frileux à l’idée de simplifier leurs cours et pourtant, en simplifiant leurs cours, ils arrivent très bien à trouver des objets ciblés (et fondamentaux).

R.G: Ta première astuce est donc de simplifier, cibler.

EPS et ciblage

J-L. U : Tout à fait. Simplifier et même faire le deuil d’une représentation de l’enseignant qui est dans la complexité et qui va tout apprendre à ses élèves. Personnellement, je n’ai jamais pu. Mais la simplification n’est pas le simplisme. Je me suis battu pendant des années avec des grands nageurs ou des grands danseurs, je leur disais « ce n’est pas parce que c’est simple que ce n’est pas juste, cela peut être simple et juste ». C’est cela l’enjeu du ciblage. C’est une simplification juste, cohérente, mais qui n’est pas facile à trouver. D’ailleurs dans le domaine du cirque, s’il existe un ciblage, je suis preneur !

R.G: On va demander à Cathy Patinet ! Et ta deuxième astuce ça serait quoi ?

Mettre en valeur systématiquement les élèves

J-L. U : Ma seconde astuce serait de mettre en valeur systématiquement les élèves. Les féliciter, leur dire des mots sympathiques, des mots justes sur leur travail. Et tout le temps, tout le temps. C’est un métier de valoriser les élèves. Et nos stagiaires débutants souffrent quelques fois de leur maitre de stage qui leur interdit parfois d’être gentils. Pourtant c’est la plus grande bêtise que l’on puisse dire à un débutant. La gentillesse, la pertinence d’un mot juste à un élève à un moment donné, c’est une force incroyable.

Pour la petite anecdote, un jour, en natation, un jeune issu du Cap-Vert décide de ne rien faire, ça ne l’intéressait pas. Nous faisions des relais américains et il ne voulait pas jouer. Puis à un moment, je lui avais interdit de s’approcher des autres. Ensuite, le relais américain part et je le vois courir et plonger ! C’était soit je le mettais « en prison », soit je le laissais faire. Puis il a nagé 30 minutes seul contre des équipes de 6 et il a gagné ! Quand il est sorti de l’eau, j’étais troublé. Que faire? Au lieu de lui passer un savon, j’ai décidé de le féliciter. « Bravo, je n’ai jamais vu quelqu’un comme toi, franchement, tu m’as épaté ». Puis, il a été mon grand copain toute l’année. J’ai de nombreuses anecdotes comme celle-là.

Natation college lycee

Ces mots ne sont surtout pas de la démagogie. Il ne faut surtout pas dire à un élève qui n’a rien fait que c’est bien. C’est interdit. Il faut peser les mots, il faut dire que c’est bien quand c’est bien. Il ne faut pas non plus abuser des paroles gentilles. Mais un mot gentil par élève et par séance, c’est essentiel pour maintenir une certaine autorité.

Enfin, la question des progrès se pose aussi. Je ne la développerai pas beaucoup, mais elle fait partie de la valorisation. C’est-à-dire qu’il faut travailler tous les jours avec la notion de progrès en tête. Chaque jour annoncer à l’élève sa progression (ou sa régression aussi).

Je recommande de travailler avec des outils pour mesurer la progression. En natation, je pense les avoir trouvés et tous les jours, à tous les essais, les élèves savaient à quel niveau de progression ils étaient arrivés. Je n’ai jamais connu un élève qui résiste au progrès, même les plus durs, quand on leur fait un compliment, sont radieux.

R.G: Ils se sentaient valorisés car certainement ils avaient une faible estime d’eux-mêmes en plus avec ce qui pouvait se passer à la maison, etc.

J-L. U : Les gens pensent qu’être gentil c’est « anti-autorité », alors qu’en réalité, c’est l’injustice qui est à l’origine de cela (l’absence d’autorité).

R.G: Effectivement, ce n’est pas être gentil pour être gentil, c’est valoriser les progrès des élèves et être juste, bien entendu.

J-L. U : Bien entendu, et puis valoriser régulièrement, quitte à noter dans un carnet qui on a encouragé et quand ! C’est un moteur incroyable.

R.G: On l’a bien noté, merci pour cette astuce. Tu peux passer à la suivante Jean-Luc ?

Les lignes jaunes

J-L. U : Je voudrais dire aussi aux jeunes qu’on peut être gentil mais qu’on a le droit d’être en colère. C’est-à-dire que pour être respecté, il faut être gentil et il faut être en colère. Mais pour être en colère (un devoir presque de l’être), il faut avoir des repères. Si on est en colère au hasard, les élèves prennent cela comme de l’arbitraire et quand on est arbitraire, on n’est pas respecté. Être en colère, c’est dire à quelqu’un qu’à un moment donné, il est allé au-delà des limites. On a appelé ça des « lignes jaunes », c’est-à-dire les limites à ne pas franchir.

EPS citoyenneté

Pour l’anecdote, un jour je faisais des haies et comme tous les bons débutants, (bon, j’étais athlète), je voulais leur apprendre le départ. A vos marques, prêts, partez ! Attention au pied, à la ligne… C’était embêtant pour les élèves. Et pendant ce temps, il y avait 25 haies qui étaient là, et chaque fois que je me retournais, il n’y avait plus une haie debout ! Ceux qui passaient les faisaient toutes tomber et tout le monde riait. Alors je remettais les 25 haies en place et je réexpliquais le départ. Un jour, j’ai mis le holà. J’ai averti quiconque fait tomber les haies passera par la fenêtre ! (rires).

J’ai mis cette ligne jaune et elle m’a sauvé la vie. Après, je pouvais laisser les élèves travailler ou pas car les haies ne tombaient plus exprès ! J’ai encore un tas d’exemples comme ça. Je me suis dit que dans un cycle, il ne faut pas tenir à tout !

R.G: Tu me disais qu’il fallait avoir 2 lignes jaunes maximum (par cycle d’APSA), sinon ce n’est pas tenable.

J-L. U : Quand les lignes jaunes sont franchies, la vie du groupe ne marche plus. Un autre élément de colère c’est les tables de marque au basket (tables de marque toujours présentes au basket). Si je vois un élève ne pas regarder le match ou oublier de cocher « tir seul », je me mets dans une colère folle puisque la table de marque, c’est la condition du vivre-ensemble de l’équipe. Si la table de marque dysfonctionne, il n’y a plus de sport collectif, il n’y a plus d’équipe. Les élèves l’avaient compris. Un autre exemple de ligne jaune qui m’a marqué à vie je pense (c’est à partir de là qu’on a conçu en autre le principe des lignes jaunes). Au basket, à chaque fois que j’étais sur un terrain, l’autre se vidait. Je me retournais, les rouges et les bleus n’étaient plus là !! Il y a eu des portes de vestiaires cassées, tout ce que l’on peut imaginer. La ligne jaune que j’ai fixée était d’indiquer que le premier qui sort du terrain passe par la fenêtre ! (rires) Quand on pose des limites comme celles-ci, en cas de conflits, ces derniers sont obligés d’être résolus à l’intérieur du terrain puisqu’il était interdit d’en sortir !

Les lignes jaunes ne sont pas toujours « didactico-pédagogiques ». Ce sont des règles sur le « vivre-ensemble ». Si on les enfreint, on ne peut plus vivre ensemble.

R.G: Et puis toi, ça te permettait de souffler et de gérer la classe aussi sinon c’est intenable par moments.

J-L. U : Ces lignes jaunes créent un rapport à l’adulte qui est un rapport de résistance puisqu’il faut résister aux adolescents. C’est ce qu’on a écrit d’ailleurs sous le terme « d’homme debout » ou de « femme debout ». Ces élèves voulaient qu’on leur résiste y compris lorsqu’ils quittaient un terrain. Ils vérifiaient s’ils avaient été vus et quand on leur interdisait de sortir du terrain, certains faisaient exprès de mettre un pied dehors ! Pour résister à tout cela, il faut des lignes jaunes. Sinon résister dans le désordre, c’est être impuissant. Les lignes jaunes enseignent la résistance, s’en tenir à 2 règles jusqu’au bout coûte que coûte. Quand les lignes jaunes sont posées, l’ambiance de la classe descend.

Attention, une ligne jaune n’entraine pas toujours une punition « diabolique », cela rappelle à l’ordre simplement. « L’homme debout » c’est, en quelque sorte, cet enseignant ferme et humain qui valorise et qui résiste, qui valorise et qui donne les limites. C’est fondamental. Aujourd’hui, mes stagiaires d’histoire ou de français, je leur dis : « donnez-moi dans votre classe, une chose qui est interdite ». Ils me répondent : « On ne peut pas car il y en a au moins 10 des choses interdites ». Je leur en demande qu’une seule et là, ils se mettent en groupe et ils la cherchent ! Quand on met une ligne jaune sur un chewing-gum, je leur donne quelques jours pour survivre en REP…

Voilà pour ma troisième astuce sur le droit à la colère.

R.G: On peut passer à la quatrième alors…

Accepter de faire le deuil de ce qui ne peut pas s’apprendre en EPS

J-L. U : La quatrième astuce est qu’il faut perdre quelques illusions sur les apprentissages que l’on peut obtenir de nos élèves. J’ai eu beaucoup d’illusions en début de carrière. Il faut admettre qu’en EPS, certaines choses ne seront jamais apprises par des élèves.

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Et ça, c’est terrible car lorsqu’on est formé en formation initiale, on est ambitieux. Par exemple, personnellement, je n’ai jamais appris une bascule à un élève en gym. Je n’ai jamais appris à une fille à faire un smash après une course d’élan au filet, surtout planter la balle dans les 3 mètres (sauf avec le passeur-bloqueur). Je n’ai jamais réussi à apprendre à mes élèves le papillon.

Cette histoire de deuil permanent construit le ciblage et à la fin on comprend qu’on ne peut pas tout apprendre. L’école est un espace-temps spécifique et quand on fait le deuil de ce qui ne s’apprendra jamais, on peut penser au ciblage. On a 15 séances de volley, qu’est-ce que l’on retient ? On a appelé cela le pas en avant. Cela a demandé des années et des années de travail. D’ailleurs nous y sommes encore avec le CEDREPS.

Mais on a été capable de faire des deuils. Pour l’anecdote, il y a 1 an ou 2, je suis allé à Limoges ou à Tours (je ne sais plus) et j’évoquais, dans un amphithéâtre de licence, le ciblage en gym réalisé avec Alain Coston. Un ciblage sur la rotation avant avec appui manuel. J’expliquais alors aux étudiants, qu’en REP, je n’enseignais plus que cela, c’est-à-dire tourner en avant avec appui manuel. J’entends alors une rumeur dans le public qui semble perdu et qui me demande : « vous ne faites plus de barre parallèle ? » Et moi de répondre : « non non ! ». «Et la fixe ? », « Non non », « la poutre ? », « non plus ! ».

Et là les étudiants étaient complètement perdus. Ils se disaient qu’on ne pouvait pas tenir avec un seul atelier au lieu d’une dizaine. Ils n’en revenaient pas qu’on puisse cibler autant une activité. Ce qu’on a commencé à penser dans les années 1990, on y est encore en 2020. Et pour des licences STAPS, c’est pour dire…

Donc il faut accepter de faire des deuils de ce qui ne peut pas s’apprendre.

Chacun peut faire l’inventaire de ce qu’il a appris à ses élèves. Moi je l’ai fait un jour. Le soir, il faut être avec des copains pour faire ça. C’est très violent ! Qu’est-ce que tu as appris à tes élèves en gym ? Et en sports co ? C’est souvent le silence absolu autour de la table. Au bout d’un moment, on a arrêté les « conneries ». On a ciblé et on a essayé que les élèves apprennent ! Cela prend des années de travail et je n’ai toujours pas trouvé en arts du cirque !

R.G: Contactez Jean-Luc si vous connaissez un ciblage en arts du cirque.

Partager les bonnes idées avec ses collègues

EPS Régal ressources EPS

J-L. U : La dernière astuce est qu’il ne faut pas avoir peur de piquer les idées aux copains. Si je suis là, c’est qu’on partageait un cadre avec des copains profs de gym au collège Lamartine de Villeurbanne. Nous avions tout un secteur de formation continue qui était très homogène. Et cette communauté de profs d’EPS partageait beaucoup de choses. On a juste pris l’habitude de « se piquer les bonnes idées ». Je pense que si on n’avait pas fait cela, on n’en serait pas là.

On se piquait tout entre collègues : une fiche d’observation, une séance qui a marché. En natation par exemple, on avait une banque de données sur une étagère où l’on mettait les séries de 8x50m en double boucle. Et toutes les séances étaient écrites sur du papier plastifié avec des séries que les élèves devaient suivre. Si elles trempaient dans l’eau, ce n’était pas bien grave. Quand un collègue avait une bonne séance qui avait bien fonctionné, je lui disais de l’écrire, de la plastifier et on la plaçait sur l’étagère.

L’équipe permet de gagner du temps par l’échange et ça donne confiance. Quand on a travaillé sur la danse et qu’on est passé par les 5 composantes préconisées par tous les experts du monde, au CAPEPS, à l’Agrégation (j’ai interrogé dessus, je les connaissais par cœur,) et qu’on a trouvé une forme de pratique avec une seule composante, on s’est fait démonter par les spécialistes ! Et comment a-t-on tenu le choc ?

Parce qu’on était une équipe où plusieurs profs de gym utilisaient cette méthode ciblée en danse et que ça nous a donné confiance d’être plusieurs à faire la même chose. Si on est tout seul, on ne résiste pas aux experts. En natation, j’ai résisté à quelques grands experts (je ne donne aucun nom !), mais ça a était très dur. Pendant 10 ans, j’en ai pris plein la tête.

En somme, n’ayez pas peur de piquer les idées aux copains.

R.G: Au-delà de piquer les choses, je dirais plutôt partager les bonnes idées avec les collègues EPS de l’équipe.

EPS college lycee

Si on résume tes 5 astuces, on aurait en premier une simplification cohérente, en deuxième mettre en valeur systématiquement les progrès des élèves. Ensuite, tu nous as parlé des lignes jaunes pour poser des limites avec les élèves. Puis le ciblage et pour finir partager les bonnes idées avec ses collègues et ses copains. Et on a bien entendu ton appel pour le ciblage en arts du cirque !

Maintenant, est-ce que tu peux nous partager un ouvrage ou recommander une revue qui, à un moment donné dans ta carrière, t’a inspiré ou t’inspire toujours actuellement ?

Les Cahiers du CEDREPS

forme de pratique scolaire

J-L.U: Je pense à la revue du CEDREPS. On peut trouver tout ce dont on a besoin en terme d’articles réflexifs sur les fondements culturels, des articles de fond sur le ciblage, sur les formes de pratique. Surtout des formes de pratiques concrètes, que des collègues ont mis en place. Si on lit bien, le CEDREPS sert aussi à exercer une vigilance sur les choses. J’ai lu des formes de pratique que personnellement je n’approuve pas dans le CEDREPS mais tant pis, l’avantage c’est qu’elles existent. Si on lit avec un cadre un peu critique, je pense que le CEDREPS apporte de la formalisation et des exemples qui sont pour nous des objets de réflexion, justes ou faux, peu importe, l’essentiel c’est que ces articles fassent réfléchir. Voilà pourquoi je conseillerais cette revue aujourd’hui.

R.G: C’est vrai qu’il y a des articles avec une réflexion sur la discipline EPS, et ensuite des mises en œuvre concrètes à travers des formes de pratiques scolaires.

J-L. U : C’est cet amalgame qui, aujourd’hui, peut aider les collègues à se stabiliser dans leur conception. Et surtout, dans la revue CEDREPS, tu peux piquer des bonnes idées !

R.G: Je n’en doute pas. Tu évoquais une fiche pédagogique tout à l’heure. As-tu un outil pédagogique à conseiller pour aider les collègues dans leur quotidien ?

Un outil pédagogique pour les leçons d’EPS

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J-L. U : Cette fiche est emblématique de ce qu’on a cherché pendant 20 ans. C’est-à-dire une fiche d’observation qui est l’amalgame de plusieurs préoccupations. Dans une fiche d’observation, il nous fallait 3 ingrédients essentiels: gestion, compétences/ciblage, valeurs.

C’est une fiche qui gère l’activité des élèves. La fiche en elle-même peut laisser les élèves agir sans le professeur. Ici on retrouve cette exigence de gestion contenue dans les fiches. Trois matchs par séance, en grande boucle et à chaque match, on donne aux joueurs des statuts. Au match 2, on change les joueurs, on change les tables de marque. Tout cela est posé au début du cours, les élèves lisent et savent quand ils jouent, etc. C’est réglé. Et toutes les séances se gèrent de cette façon.

R.G: Ça permet de bien gérer la classe, chacun sait ce qu’il a à faire, au niveau des rôles sociaux notamment.

J-L. U : On ne discute plus non plus qui est dehors 1 minute (remplaçant, table de marque,…)

R.G: Et qui veut bien être arbitre également etc.

J-L. U : Chaque joueur dispose du même temps de jeu que les autres, qu’il soit le plus fort ou le plus faible. C’est très important les valeurs portées. Tir seul, perte, etc. c’est le fil rouge. On est en basket, il faut donner à l’élève un pas en avant décisif dans ses compétences. Et dans les compétences ici, la tension entre un élève capable de tirer seul, donc vite et capable de conserver la balle et pas la perdre, c’est cela le ciblage. On est en troisième ou en quatrième (fin de collège), le pas en avant c’est de pouvoir jouer vite sans perdre la balle. Car on peut savoir jouer vite, on peut savoir garder la balle, mais jouer vite sans perdre la balle, c’est ça que l’on apprend au collège. Par ailleurs, il y a des scores adossés à chaque indicateur : tir seul, perte, panier marqué. 

Chaque élève est adossé à des indicateurs individuels. Chaque indicateur donne des scores.

Le T+ c’est un panier marqué. Le tir seul c’est un panier tenté à 2 mètres de distance d’un défenseur.

Ce qui compte c’est que dans le score on prenne en compte la compétence attendue, le pas en avant. Cette fiche est importante car elle va gérer le culturel. Qu’est-ce qu’un joueur de sport collectif ? Tous les joueurs peuvent participer au gain du match. A un moment donné, on met des contrats à des joueurs et ces contrats portent un point à l’équipe. Le sport collectif c’est un rapport de force équilibré entre deux équipes où tous les joueurs ont une chance de faire basculer le match.

Une phrase de Andy Warhol « chacun doit avoir son heure de gloire » [textuellement « A l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale »]. L’heure de gloire peut être donnée au plus faible de la classe, par les contrats. Les joueurs jouent tout le temps, avec des alternatives qu’ils gèrent. Jouer vite ou lentement, c’est cela le sport collectif, une alternative à gérer prioritaire. On peut utiliser cette fiche sur 15 séances. 2-3 séances sont nécessaires pour la mettre en place. Ensuite, on joue 12 fois de suite avec la même fiche et personne ne s’en aperçoit. Puis on fait des exercices en petite boucle.

En natation et en danse on en a fait beaucoup de fiches comme celle-là. Trois ingrédients sont importants : la fiche amène à toucher le fonds culturel, la fiche amène à gérer le groupe et la fiche porte le pas en avant.

R.G: Pour finir Jean-Luc, est-ce que tu aurais un petit cadeau à offrir aux personnes qui ont suivi l’interview jusqu’à la fin ?

Cadeau offert par Jean-Luc UBALDI : une vidéo de 7 minutes où il est en action durant sa leçon d’EPS de natation

EPS natation college

J-L. U : J’offre une petite vidéo de de 7 minutes qui date de 2006 (la dernière année ou l’avant dernière année dans mon collège). C’est une vidéo avec 2 situations : un relais de durée avec une fiche outil (vous verrez comment la fiche gère la classe) et la fameuse « chenille ». C’est une vidéo dans laquelle notamment je félicite les élèves sur leur travail. C’est une vraie séance de natation avec ma classe de 4ème. Elle illustre ce que je voulais vous dire aujourd’hui dans les 5 astuces.

R.G: En choisissant cette vidéo tu réussis à résumer les 5 astuces dont tu nous as parlé aujourd’hui.

Merci pour ce cadeau. C’était un plaisir de partager avec toi ce moment.

J-L. U : Merci à toi, Régis, c’était un vrai plaisir.

R.G: Je te souhaite bonne continuation et à bientôt pour partager une nouvelle interview.

Merci à toi, cher(e) collègue ou futur collègue d’avoir suivi cette interview jusqu’au bout! Tu peux bien entendu la partager si tu penses qu’elle peut intéresser et aider des personnes autour de toi 😉 Et si tu as des questions ou des commentaires, je t’invite à les laisser ci-dessous…

On partage et on progresse ensemble 😉

EPS college lycee

Cette publication a un commentaire

  1. Jordan Ivanovski

    Bravo et merci Dieu UBALDI !
    Toujours cette bonne humeur contagieuse empreinte de sagesse.
    Quant au terme « piqué » aux collègues, il est vraiment pas si mal! Les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattarie parlaient de pillage entre eux…alors qu’ils étaient de bons copains…
    BRAVO à l’homme debout ! Celui qui valorise et qui résiste…

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