Tu trouves qu’il est parfois difficile de transformer tes élèves durant une leçon d’EPS. Qu’il y a de nombreux paramètres à prendre en compte lors de ta préparation de leçon et ensuite sur le terrain face à ta classe afin de faire progresser tous les élèves.
Ma série d’interviews « Les 5 astuces pour transformer les élèves durant une leçon d’EPS » a pour objectif de t’apporter des outils concrets pour te sentir plus à l’aise face à tes classes.
Si tu souhaites bien comprendre le principe et la trame de chaque interview, cette vidéo de 2 minutes va tout t’expliquer 😉
Pour cette nouvelle interview, j’ai eu le grand plaisir d’échanger avec un collègue expérimenté dans le monde de l’EPS en tant qu’enseignant et formateur: Philippe-Michel SIPEYRE.
Sans plus attendre, je te laisse prendre connaissance des 5 astuces de Philippe-Michel 😉
Cette partie est le 3ème volet de notre interview. Pour accéder:
A la partie 1: Enseigner l’EPS dans le privé: https://www.epsregal.fr/eps-prive/
A la partie 2: Les actualités de l’EPS: https://www.epsregal.fr/actualites-eps-sipeyre/
Si tu as des questions, des remarques suite à cette interview, tu peux les laisser dans la partie commentaires sous la vidéo YouTube ou dans les commentaires en bas de cet article 😉 Je t’invite également à apporter « ton pouce à l’édifice » en cliquant sur le pouce bleu sous la vidéo YouTube afin d’améliorer le référencement de cette interview.
3 possibilités s’offrent à toi maintenant pour suivre cette interview: la vidéo YouTube (clique sur l’image ci-dessous), la bande son (en dessous du lien vidéo) ou l’article (en dessous de la bande son).
Tu souhaites écouter cette interview sous forme de podcast? Par exemple, dans les transports en commun ou pendant ton footing, pendant une balade dans la nature…Clique sur le bouton ci-dessous:
Les 5 astuces de Philippe-Michel SIPEYRE pour transformer les élèves durant une leçon d’EPS
Régis GALEK : Nous passons maintenant au troisième et dernier temps de cette interview avec Philippe Michel SIPEYRE. Si tu n’as pas encore lu les deux premières parties de cette interview, je te rappelle que Philippe Michel a une grande expérience dans le milieu de l’EPS en tant qu’enseignant et également en tant que formateur sur différents concours. Alors avec toute l’expérience que tu as, est-ce que tu peux nous partager tes 5 astuces pour faire progresser les élèves et les transformer durant une leçon d’EPS ?
Philippe Michel SIPEYRE : Avec plaisir. D’abord je voulais dire que ton idée d’une interview avec 5 astuces était bonne. J’ai regardé toutes celles des autres puis je les ai notées. Je me suis fait des petits tableaux. C’est une très bonne idée, bravo. Je pense que pour les étudiants et même pour tous les enseignants, tous les collègues c’est très intéressant de voir ce qui marche.
R.G : L’idée c’est vraiment l’envie de partager des astuces concrètes que les étudiants ou les collègues peuvent réutiliser sur le terrain avec leur classe.
Première astuce : se concentrer sur le « P » de « EPS »
P M.S : « Tout seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin », n’est-ce pas ? Donc, la première astuce, c’est le « P » de EPS. J’en ai parlé dans une interview précédente, le « P » de « EPS », c’est notre pivot. Je pense qu’à chaque séance, il faut se demander à quelle hauteur de « P » on est allé.
Je me souviens, à son arrivée à Marseille, mon IPR m’a dit découvrir l’EPS « en tongs et à moins de 6 km/h ». Je pense qu’il parlait de la pétanque et sachant qu’il avait une classe pétanque dans un lycée des quartiers nord de Marseille (j’avais été jury pour l’épreuve d’ailleurs en tant que spécialiste)… Bref, pour lui également, le « P » est fondamental.
Qu’est-ce qu’il y a de physique alors ? Il n’y a pas que le physique, lui ai-je répondu. Il y a un geste, une opposition, de la stratégie. Quand on arrive à des scores serrés, il y a une gestion du stress aussi, si on prend le risque de tirer …etc. Il y avait donc quelque chose de l’ordre du physique, de la maîtrise fine de l’adresse et de la gestion d’un agôn, d’une opposition.
Donc, chaque séance doit être pensée au travers du filtre du « P ». Qu’est-ce que j’ai demandé là-dedans ? En quoi j’ai corporellement sollicité les élèves ? Qu’est-ce que leur corps a dû changer ? Qu’est-ce que leur corps a dû proposer comme solution pour l’exercice ? Bien sûr qu’ils ont réfléchi, on ne va pas rentrer dans le débat cognitivisme ou écologique. Peu importe mais se poser la question de ce qu’on sollicite chez eux.
R.G : Très bien, on peut passer à la deuxième astuce.
Deuxième astuce : parler moins
P M.S : La deuxième astuce va être un peu paradoxale surtout pour ceux qui vont voir les trois moments qu’on a passés ensemble, c’est parler moins ! Rires
R.G : Toi tu ne parles pas beaucoup donc ça ne te concerne pas ! Rires
P M.S : Je suis extrêmement bavard et puis quand j’adore un sujet, je me fais plaisir d’en parler, c’est agréable. Je pense qu’il faut communiquer d’une manière générale.
Donc sur le « parler moins », je l’avais écrit dans un article (AEEPS) que j’ai diffusé sur les réseaux. Je pense que les profs d’EPS sont très bavards. Je discutais avec mon fils de ses cours d’EPS : pendant 35 minutes, souvent, son prof parlait ! Et lui, adolescent, il frétillait…Voilà, on parle trop! Alors ce que j’ai fait, pendant deux ans, j’ai chronométré mon temps de parole en classe entière. Je faisais l’appel très vite et après je me limitais à 10 minutes sur des créneaux de deux heures. Quand je prenais la parole ça allait vite (10 minutes), je présentais ce qui a été fait la semaine écoulée…etc.
R.G : Tu arrivais à t’en tenir à 10 minutes ? Ce n’est pas facile je pense.
P M.S : Je me chronométrais. Si je n’avais pas réussi à dire tout ce que je voulais dire, comme punition, je faisais le tour des groupes pour réitérer la consigne. Ainsi, ma punition, c’était de répéter 5, 6, 7 fois la même chose et la fois d’après j’essayais d’y penser en amont. Donc parler moins pour laisser au cours d’EPS, le temps de l’apprentissage qui en demande beaucoup. Il faut que les élèves puissent essayer, rater, se tromper, recommencer, discuter, proposer des solutions et ainsi de suite.
Et ils n’ont pas besoin d’un prof qui tout le temps essaie de réguler ou de donner des infos. Donc on s’écarte, on prend du recul, on observe, on tourne en périphérie et on est à la disposition de ceux qui ont besoin de nous. On régule, selon par exemple, le pilotage de Dominique BUCHETON, on régule de l’extérieur la gestion de l’espace et de la sécurité, mais on ne parle plus, on les laisse exister. Comme dit le proverbe « c’est quand l’élève demande que le maître apparaît ». Ce n’est pas quand le professeur parle que l’élève naît, il ne faut pas inverser le truc et donc il faut laisser du temps et moins parler aux élèves.
R.G : Quand on a préparé cette interview, c’est vrai que tu m’as parlé de cette astuce et elle m’a vraiment interpellé. Cela m’a rappelé quand j’ai passé le CAPEPS au début des années 2000. Un de mes cours de pédagogie notamment avec cette étude de Pierron qui date des années 1980. Cette étude précisait justement qu’un tiers du temps est consacré à organiser le cours et les équipes, déplacer et ranger le matériel. Un autre tiers du temps comme tu disais qui est consacré à donner des informations aux élèves, à passer les consignes, faire des bilans etc. Ce qui veut dire que pendant les deux tiers du temps de la leçon, les élèves ne sont pas dans des situations d’apprentissage!! Et ça m’avait vraiment interpellé déjà à l’époque et quand on a reparlé de ça la dernière fois, j’ai relu cette étude dans mon ancien cours…
P M.S : Et si tu regardes bien, ça va un peu à la rencontre du « P » du premier point puisque si on parle trop, on n’est pas dans l’engagement moteur.
R.G : C’est clair! On peut passer à la suivante.
Troisième astuce : l’importance de mettre en place une routine
P M.S : J’ai changé mon astuce que j’avais prévue initialement. Je pense que ce qui est important, c’est la mise en place d’une routine dans le sens anglais du terme (pas la routine comme celle qui s’installe dans le couple parfois ! rires). Je parle de routine de fonctionnement professionnel.
Je me souviens de ma prof de danse en STAPS de Marseille à la fin des années 80. Elle m’avait dit un jour entre deux consignes « le prof d’EPS, c’est avant tout un transporteur ». Et c’est vrai qu’on passe notre temps à porter des ballons, des poteaux, des plots…donc ça prend du temps. On peut associer les élèves bien évidemment mais parfois on aime bien faire les choses soi-même.
Personnellement, ma routine systématique, c’est qu’à chaque début de séance, quelle que soit la pratique, on court 6 minutes. Pourquoi 6 minutes ? Parce que c’est 1/10ème d’une heure. Je connais le périmètre de mon stade j’ai donc une vitesse en km/h, un référentiel. Marseille-Cassis ou le semi-marathon 20 km/h , ou autre … à quelle vitesse on court ? Moi je leur demande vraiment de faire le petit footing, j’appelle ça une S.A.S: Situation d’Accès au Savoir. Comme un SAS permettant une transition. Pour créer une disponibilité pour et vers l’EPS, on passe par le corps, par le footing. On peut courir à une vitesse à laquelle on peut papoter tranquille et on se remet comme ça de la récré, du cours de maths, du DS, etc…Hop, faut « reglisser » dans son corps grâce aux 6 minutes de footing.
Pourquoi courir ? Je leur explique tout ce que je te dis parce que je pense qu’il faut aller vers la pédagogie de la transparence. Justifier ses choix et expliquer aux élèves le pourquoi de ce qu’on fait. C’est Archimède qui disait « donnez-moi un pourquoi, je vous donnerai tous les comment » et pas seulement des « comment faire ». C’est un peu ce que je reproche parfois à la profession. On donne des consignes, des recettes sans en expliquer le pourquoi. Donc au début de l’année, les élèves demandent pourquoi on court, ensuite j’explique. Puis après ils demandent si on peut ne courir que 5 minutes, ils entrent en négociation. Et moi intransigeant, je ne lâche pas. C’est 6 minutes parce que c’est 1/10ème d’une heure, je vous l’ai expliqué; ça vous renseigne sur ceci et cela…
Maintenant, on est en février, globalement dans la majorité des classes, quand les élèves viennent vers moi en début de cours, ils me demandent le chronomètre. Ils ne disent plus qu’il ne faut pas courir ou moins. Ils me disent: « je prends le chronomètre pour m’occuper du temps de course ». Voilà et moi pendant ce temps, j’ai 6 minutes pour faire ce que j’ai à faire, m’organiser, sortir le matériel qu’il faut. Je les observe, je fais l’appel en même temps (en numérique), je les vois passer devant moi. Bref, il y a quelque chose qui s’installe. Je pense qu’il y a plein de routines à mettre en place (j’en donne une comme ça puisqu’on est dans les astuces), le but étant que nos préoccupations ne prennent pas le pas sur nos occupations.
En effet, notre occupation c’est de favoriser un apprentissage efficace des élèves, c’est pour ça qu’on est payé, nous sommes des accélérateurs d’apprentissage. Un bon prof, c’est quelqu’un qui fait apprendre, tout simplement, et si possible, ce qu’il a visé. Ainsi les routines permettent de sortir des contraintes de pilotage que l’on peut complètement offrir aux élèves soit par un système de dévolution, soit par un système de contrats et d’alliances dans le travail qu’on va faire ensemble.
R.G : C’est vrai que tu as changé cette astuce-là, tu en as plein comme tu nous disais, tu es bavard. Au début tu étais parti sur le fait de féliciter les élèves.
P M.S : Jean-Luc UBALDI l’avait développé de façon pertinente dans ton interview (https://www.epsregal.fr/eps-5-astuces-jl-ubaldi/ ). Je ne vois pas pourquoi je reviendrais dessus. Il a fait mieux que moi et quand c’est bien fait, il faut prendre ce qui est 😉
R.G : C’est vrai que tu accordes aussi une importance à ça. OK, on peut passer à la suivante.
Quatrième astuce : oublier sa montre!
P M.S : Le quatrième point, c’est la montre. C’est simple je n’ai pas de montre sur moi. Pourquoi ? Parce que je confie la durée de mes séances à un élève. Cela marche chez les petits mais les grands jouent aussi le jeu. L’élève désigné je l’appelle « Chronos », c’est dans les rôles sociaux et cet élève est le responsable du temps.
Je lui demande de me prévenir à dix minutes de la fin. Je fais pareil d’ailleurs avec les étudiants. Et à partir de là, je sais qu’il faut savoir conclure, qu’il faut préparer la fin de l’exercice. Pourquoi ? Parce que là aussi je m’enlève de la préoccupation temporelle. J’évite ainsi de me demander si j’ai le temps de finir cet exercice ou si les matches ne sont pas trop longs. Je préfère me concentrer sur ce qu’il se passe, sur ce qui se fait, bien ou pas bien. On fait en sorte que ça fonctionne et ce n’est pas le temps qui va piloter, c’est ce qu’il se passe, la réalité.
Comme disait Paul GOIRAND « je ne prends comme point de départ que la pratique concrète des acteurs concrets ». C’est-à-dire ce qui existe, il n’y a que nous, ici et maintenant, sur le terrain et c’est ça qui m’importe. Si je suis pollué par le temps ou que j’avais prévu 20 minutes pour un exercice, il faut que je m’arrête subitement alors qu’au bout de 20 minutes, il n’y a peut-être même pas la moitié des élèves qui arrivent à faire quelque chose, sans parler d’apprendre. Par exemple, dernièrement, je faisais une sorte de tennis (je ne sais pas si c’est autorisé enfin bon, j’ai désinfecté les raquettes et les balles !) mais voilà le tennis est extrêmement dur et toi qui es pongiste, tu le sais bien. Je disais d’ailleurs aux élèves que le tennis c’est comme le ping pong, sauf qu’on est debout sur la table.
R.G : Coluche disait ça aussi ! Rires
P M.S : Voilà il avait raison Michel Colucci ! Rires
Donc c’est très dur et il faut un temps fou pour trouver la bonne mise à distance, pour pouvoir frapper la balle, orienter le tamis. C’est le postulat de Burns: « chacun a sa vitesse d’apprentissage ». Chacun apprend à un certain moment, c’est complexe donc je vais « laisser durer ». Et ensuite, mon devoir est de mettre des régulations pour ceux qui y sont arrivés avant et de leur donner toujours de quoi alimenter leur travail. L’école doit se recentrer sur ce qui est premier et ce qui est premier, c’est le travail de l’élève et l’enseignant est là pour faire travailler les élèves.
Je reviens sur une notion très rapidement. C’est celle des élèves qui sont dans une immédiateté, un plaisir facile. Et nous, on veut les amener vers la durée et le plaisir difficile. Et ce plaisir difficile passe par des efforts qui prennent du temps et ce temps n’est pas là pour être chronométré. J’ai vu beaucoup de jeunes profs qui faisaient cours comme ça (avec leur fiche devant leurs yeux) et quand on les appelait, ils tournaient la tête. Ils étaient tellement pilotés par leur préoccupation du temps, par le fractionnement de leur séance et du minutage hyper précis de leur cours que ça prenait le pas sur toutes les possibilités d’apprentissage.
R.G : Ils voulaient faire absolument ce qu’ils avaient prévu. Ils préparaient leurs leçons et quoiqu’il puisse se passer, ils voulaient aller au bout de ce qu’ils avaient préparé.
P M.S : Quand tu dis aux jeunes profs à la fin de la séance: « Alors, ça s’est bien passé ? Qu’est-ce que tu en penses ? ». Ils répondent: « J’ai réussi à faire tout ce que j’avais prévu ». Voilà, donc prenons le temps parce que quand on fait apprendre et progresser, on génère une joie.
Mais également un sentiment de puissance qui génère aussi de la joie, qui génère du bien-être qui va vers une forme d’épanouissement. Et c’est cela qu’on vise. Ce n’est pas, au contraire, ce zapping permanent de situations qui ne sert systématiquement à rien. Là tout bascule vers le « parler trop » et du coup il n’y a plus d’activité des élèves.
R.G : C’est vrai que les élèves prennent du plaisir quand ils progressent. Et parfois, c’est un peu la crainte des collègues qui pensent que s’ils les laissent trop longtemps dans la même situation ou dans la même forme de pratique scolaire ils vont s’ennuyer à un moment donné. Donc c’est pour ça qu’il faudrait les changer souvent, et faire quelque part « un zapping de situations » pour que les élèves ne s’ennuient pas et qu’ils prennent du plaisir. Alors qu’effectivement, non, ils prennent du plaisir aussi quand ils progressent même s’ils restent dans la même situation!
P M.S : Deux choses : une, savoir s’ennuyer c’est génial et tout le monde ne sait pas forcément le faire. Deux, il faut aller vers le plaisir difficile comme l’évoquait Roland BARTHES il y a quelques années. Le plaisir difficile nécessite du temps (le fameux « no pain, no gain » pour les Anglais), de la durée, de l’investissement. Mais le plaisir difficile propose une joie dans la réussite qui est X fois supérieure à celle du plaisir facile. La démagogie va vers le plaisir facile mais l’effort, le fait de respecter les élèves et de vouloir qu’ils progressent les amène vers le plaisir difficile et vers une joie beaucoup plus grande.
R.G : Très bien, on peut passer à la dernière astuce.
Cinquième astuce : expliquer aux élèves quel rapport entretenir avec leur corps
Il faut les recentrer sur leur corps, leurs sensations, leur intériorité. Recréer des moments où on s’écoute, où la proprioception est quelque chose d’important, où on parle de son corps. On l’expose, on le pose on en discute, il y a quelque chose à remettre en place. Je pense que tous ces tracas de santé, de sédentarité sur les gamins actuellement, c’est un rapport au corps qui est mal passé. L’EPS doit être la discipline où l’on remet le corps à sa place et cette place est fondamentale.
R.G : Tu me disais quand on a préparé l’interview de mettre le corps au centre des discussions. Quand tu présentes aux élèves les différentes activités en début d’année par exemple, tu leur parles dans le champ d’apprentissage 1 de « corps mesuré », dans le champ 4 de « corps opposé » et chaque fois en employant le mot « corps ».
P M.S : Oui, tout à fait. Le « corps exposé » pour l’artistique, le « corps déséquilibré » pour le 2 et puis le « corps ressenti » pour le 5. Enfin, j’essaie de mettre et de poser la corporéité au centre et puis tout le reste en découle, comme on l’a expliqué précédemment. Je pense que là on est dans la discipline du corps. Attention, on n’est plus dans le dualisme ancestral qui dit que si on fait du corps, on ne fait pas d’esprit etc., ça c’est fini hein ! Rires
R.G : On l’avait bien compris ! Rires
P M.S : C’est un corps réfléchi, posé, conceptualisé et conscientisé.
R.G : D’accord, merci en tout cas pour ces cinq astuces qui vont donner des pistes de réflexion et d’action aux collègues qui vont lire cette interview. Est-ce que tu as maintenant plusieurs ressources à nous partager ? Par exemple, un ouvrage, une revue, un site internet a conseiller pour les collègues ou les futurs collègues qui nous regardent ?
Les ressources pédagogiques recommandées par Philippe Michel SIPEYRE
P M.S : Ce que je propose, c’est d’éviter de regarder l’école exclusivement par la lorgnette de l’EPS. L’EPS c’est 2, 3, 4 heures par semaine plus l’Association Sportive. Donc il ne faut pas qu’on regarde uniquement par ce petit filtre-là. Il faut qu’on la regarde dans sa globalité. Donc cela entraine qu’il faille davantage s’ouvrir. Alors les sites, bien sûr il y a EPS Mania qui est génial, il y a beaucoup de monde c’est intéressant, c’est une mine de ressources. Il y en a un autre sur les préparations de concours et il y a le tien bien évidemment dont j’ai compris l’origine du nom cette nuit ! Rires
R.G : Ne le dis pas peut-être que certains n’ont encore pas compris ! Rires
P M.S : Donc je laisse l’énigme entière pour tout le monde sur EPS Régal ! Rires
Il y a des milliers de ressources internet et moi je suis un peu « de la vieille école ». J’aime le livre, j’aime toucher un livre, j’aime pouvoir souligner et réécrire. Je me l’approprie parce qu’en terme de métacognition, je sais qu’il faut que je réécrive de façon manuscrite et après je passe au numérique. Donc je lis… parfois je dis dans la salle des profs (beaucoup de ceux qui m’ont eu en formation en cours le savent), surtout quand je veux ennuyer mes collègues, je leur fais une petite blagounette en leur disant « si tu avais eu un physique, tu n’aurais pas de copies à corriger ! ». C’est François Victor Tochon qui disait que l’enseignant expert met 7 fois moins de temps à préparer ses cours qu’un débutant, donc ça nous laisse une petite marge.
Je recommande vraiment aux profs d’EPS de lire autre chose, de la littérature par exemple. La revue EPS et les sites spécialisés, c’est très bien mais surtout ne pas hésiter à faire ce petit pas de côté qui permet d’aller chercher ailleurs pour regarder différemment la discipline. Je vous propose justement un livre qui me paraît fondamental qui s’appelle « Le maître ignorant » de Jacques Rancière qui est le plaidoyer de l’émancipation. Ce qui est important pour nous, c’est que nos élèves s’émancipent et prennent conscience de leur corps, de leurs capacités. C’est ça permettre l’émancipation.
Vous le verrez dans le livre, c’est l’histoire du Professeur J.Jacotot qui enseigne ce qu’il ne sait pas et qui se rend compte que c’est en disant le moins possible et simplement en guidant qu’il arrive à obtenir des meilleurs résultats. Cela peut parler à beaucoup de monde. C’est assez ancien comme livre. Je vous conseille également un petit livre d’Orlando de Rudder qui s’intitule « Tant qu’il y aura du sport ». Ce sont des petites historiettes. L’auteur raconte sa vie, sportif lui-même. C’est aussi un livre un peu corrosif sur les dérives du sport, qui est ancien, mais finalement assez d’actualité quand on voit ce qu’il se passe de nos jours.
R.G : C’était donc bien « Tant qu’il y aura du sport » ? Je te propose d’écrire l’ouvrage « Tant qu’il y aura de l’EPS ». Rires.
P M.S : Absolument « Tant qu’il y aura du sport ». Justement le but de l’auteur, c’est de montrer toutes les limites du sport. Et puis, évidemment, je propose aussi le livre de Michel Serres « Variations sur le corps » aux Editions « Le Pommier » de 1999. Je vous lis un extrait : « A mes professeurs de gymnastique, à mes entraîneurs, à mes guides de haute montagne qui m’ont appris à penser ». Voilà alors on retrouve toute la beauté du « prof de gym » que j’aime bien.
J’avais un pote qui s’appelait Michel Grandin, je ne sais pas ce qu’il est devenu, il était à côté de Grenoble, il doit être à la retraite maintenant et qui avait dit cette magnifique formule « Nous, nous sommes proches de l’être » (avec un « l’») parce qu’on prend l’enfant dans sa globalité. Je trouve ça très joli et j’ai même dit à mes collègues de français « Vous, vous êtes profs de lettres et nous, nous sommes profs de l’être ». Voilà, c’est vraiment ça qui est important, je pense que c’est une globalité qui vise l’émancipation par une joie corporelle.
R.G : D’accord. Est-ce que tu as un outil pédagogique maintenant à partager pour aider les collègues dans leurs cours d’EPS ?
L’outil pédagogique de Philippe Michel SIPEYRE
P M.S : Je vais vous le faire entendre avant de vous le montrer (son de bruit de klaxon dans la vidéo). Donc c’est avec ça que j’appelle mes élèves. D’abord l’objet me plaît et puis il plaît aussi aux élèves. Il a beaucoup de succès mais très peu ont le droit de le toucher, il n’y a que mes chouchous qui ont le droit ! Non, je plaisante! Rires
Voilà donc, qu’est-ce qu’il y a dedans ? C’est d’abord une sonnerie un peu différente du sifflet. Et puis, il y a l’idée que dans la profession il faut durer. Ce n’est pas facile d’être prof d’EPS : on transporte, on ramasse des gamins qui tombent, on porte un poteau de volley à 8 heures du matin dans le froid…
R.G : On n’économise pas beaucoup sa voix non plus parce qu’on sait que dans les gymnases au niveau de l’acoustique, ce n’est pas toujours le top.
P M.S : Oui, et on devient sourd au bout d’un moment, il faut crier, etc. Donc moi je pars du principe que l’on peut s’économiser sans que ça n’altère la qualité de notre travail. Et ce klaxon, par exemple, me permet de le faire. Les élèves en reconnaissent le son, ils se regroupent et ça fait partie un peu des routines de fonctionnement. C’est l’objet rigolo que je sors, il a un côté sympa.
Pour l’anecdote, j’avais vu un truc génial lors d’une visite de profs des écoles. Quand il y avait trop de bruit dans la salle, il y avait un élève « ingénieur du son ». Il se levait et éteignait puis rallumait les lumières par intermittence et les autres élèves, en voyant les lumières s’agiter, baissaient le volume. C’est-à-dire que la prof avait eu la subtilité de régler le son par l’image. Au lieu de crier plus fort qu’eux, elle avait réussi à gérer et j’ai trouvé ça très bien. J’ai remarqué d’ailleurs que, souvent, plus on parle doucement aux élèves, plus ils nous écoutent.
R.G : Et pour conclure alors, est-ce que tu as un petit cadeau à partager avec les collègues qui nous ont suivis jusqu’au bout de cette interview ?
Bonus : un cadeau de la part de Philippe Michel SIPEYRE
P M.S : Oui j’ai un cadeau que je vais t’envoyer par mail. Il y a un sujet qu’on n’a pas évoqué et que je veux bien traiter avec plaisir une prochaine fois, c’est l’Association Sportive. On avait fait à l’époque au niveau national une enquête sur le fonctionnement de l’AS dans l’enseignement catholique. Et on avait contacté les 7000 profs, les bahuts, les chefs d’établissement qui sont les présidents statutaires. Et donc on avait créé un outil qui permettait d’évaluer son AS et son fonctionnement. On l’avait envoyé à l’Inspection qui avait dit que c’était intéressant.
On avait nommé cet outil le « Surf’AS » pour voir à la fois l’efficacité de son fonctionnement en AS et pour surfer sur celle-ci. Donc c’est un petit dessin (un radar) qui permet de voir les différents facteurs, les évaluer et voir quelles pistes on a pour les améliorer. Dans le document, il y a aussi de quoi rajouter ses propres pistes pour les évaluer. Je te l’enverrai et tu le feras passer à tous ceux qui sont intéressés.
R.G : On le mettra en téléchargement en dessous de l’article.
P M.S : Je pense que l’AS c’est le chaînon manquant entre l’EPS et le sport. Et c’est même souvent le chaînon manqué.
R.G : OK merci beaucoup Phil pour nous avoir partagé tout ça lors de cette longue interview qu’on a découpée en trois parties. Donc je te remercie vraiment pour le partage.
P M.S : C’est moi, avec joie et je te félicite en tout cas pour ce que tu fais. C’est bien ! De la mutualisation, du partage et c’est comme ça que ça peut fonctionner. On est vraiment dans le solidaire plus que dans le solitaire. Bravo.
R.G : Solidarité pour progresser et comme tu disais tout à l’heure pour essayer de pérenniser vraiment une EPS de qualité. On a encore du travail.
P M.S : De l’avoir en conscience, c’est déjà bien. N’oublions pas la petite phrase de Dumazedier: « L’EPS n’est pas installée à l’école, elle y campe ». Je l’avais noté sur un tableau pour ne pas l’oublier. Voilà, on nous a mis hors des gymnases, attention à ce que ce ne soit pas les prémices de quelque chose qui se profile…Alors régalons-nous avec nos élèves mais soyons vigilants car il y a pas mal de signaux qui sont en train de clignoter. Merci en tous les cas à toi, c’est très agréable de pouvoir parler de la discipline.
R.G : Merci et puis je te souhaite une bonne continuation dans tes différents projets.
Et puis un grand merci à toi, cher-e lecteur-rice, de nous avoir suivis jusqu’au bout de cette interview. N’hésite pas à la partager si elle t’a apporté des pistes de réflexion ou des pistes d’actions concrètes.
Prend bien soin de toi et de tes proches 😉
A bientôt pour partager de nouvelles ressources.