Quand on débute dans le métier d’enseignant d’EPS ou qu’on ne se sent pas à l’aise dans l’enseignement d’une activité physique sportive et artistique, il n’est pas facile de savoir quoi enseigner aux élèves. Nous avons alors tendance à chercher certaines situations d’apprentissage, si possible ludiques, qui vont permettre aux élèves de prendre du plaisir dans l’activité. Mais qu’apprennent-ils véritablement dans une leçon de ce type?
De plus, la liberté pédagogique laissée aux enseignants d’EPS dans les derniers programmes collège et lycée accentue encore cette difficulté. En effet, les attendus de fin de cycle (pour le collège) et les attendus de fin de lycée sont souvent très larges. Et ils ne donnent pas vraiment de pistes concrètes sur ce que l’enseignant d’EPS doit proposer à l’étude des élèves durant une leçon d’EPS.
Alors que faire concrètement? Dans le groupe national CEDREPS (Collectif d’Etude Disciplinaire pour le Renouvellement de l’EPS), nous proposons une démarche en 3 temps:
- Définir la culture scolaire à transmettre
- Cibler des objets d’étude
- Élaborer une forme de pratique scolaire (FPS) de l’APSA
Organiser la rencontre des élèves avec un « objet d’étude » sélectionné par l’enseignant d’EPS
Ce temps d’étude que représente la leçon d’EPS n’est possible que si l’enseignant élabore en amont un certain nombre d’opérations sur les objets culturels. Cette part de la planification de l’enseignant est au cœur d’un véritable effort de transposition didactique. Il va choisir et transformer des éléments de pratiques sociales des APSA en objet d’enseignement.
Voici en résumé la démarche du CEDREPS.
Définir la culture scolaire à transmettre: définir le fond culturel
Alain COSTON et Jean-Luc UBALDI dans leur article « Une EPS malade de ses non choix » (Cahier du CEDRE n°7, 2007) nous invitent à nous poser la question suivante: Que faut-il faire vivre à l’élève de fort et d’authentique dans une pratique physique? Quelle « expérience vivre », quelle activité singulière solliciter chez les élèves?
Un auteur comme Paul Goirand (« Référence culturelle et transposition didactique » Revue Contre Pied n°1, mai 1997) a largement contribué à ce débat. Les fondements culturels d’une APSA se définissent pour lui à travers des modes originaux d’expression de la motricité humaine, de communication avec les autres, d’intelligence, de sensibilité.
Cette approche opère une distinction majeure entre le fond culturel d’une APSA et ses formes de pratiques sociales spécifiques qu’il peut prendre en fonction d’éléments de contexte. Cette question du fond culturel se cristallise lorsqu’on essaye, par exemple, de répondre à la question: c’est quoi un nageur? Il s’agit de quitter la question de la définition de l’APSA (c’est quoi la natation?), au profit de la notion « d’activité adaptative de l’élève ». Ainsi, cela évite aux enseignants de tomber dans le piège du technicisme. C’est-à-dire la tentation de ne retenir la forme plutôt que le fond, le superficiel plutôt que le fondamental.
La conception du fond culturel du CEDREPS se résume ainsi:
Dans le cadre des activités gymniques par exemple, chaque élève doit vivre une épreuve qui se caractérise par une double prise de risque (Alain COSTON et Jean-Luc UBALDI, « La leçon en EPS: un système complexe entre incertitudes et anticipations structurantes », Les dossiers Enseigner l’EPS n°1, janvier 2013). Celle, d’une part, de perdre son intégrité physique en risquant d’apprendre à « savoir piloter son corps dans un espace démultiplié intégrant entre autres repères nouveaux, la verticale renversée ». Et celle, d’autre part, de perdre l’estime des autres ou sa propre estime en se produisant devant ses camarades.
Cette activité passe par des principes incontournables: « de plus en plus manuelle, de plus en plus aérienne, de plus en plus renversée ».
Cette double difficulté, inscrite dans la culture, met en jeu de nouveaux rapports aux autres. Des rapports faits de partage et de respect qui donneront à l’élève la possibilité et le désir de se montrer et de regarder dans un contexte humain qui sait se prononcer sans humilier.
Le ciblage des contenus en EPS pour faire progresser les élèves
Cibler, c’est choisir, ce n’est pas réduire mais « zoomer » sur ce qui est fondamental à un moment donné (J-L UBALDI et A.COSTON, 2013).
C’est décider de ce qui est décisif au cœur de la culture des APSA. Le ciblage tel que nous le concevons dans le groupe CEDREPS est une « passerelle » culturelle. Il ouvre une fenêtre dans la complexité de l’activité. Il porte en lui les mobiles, les valeurs, les rôles, la motricité du pratiquant de l’APSA.
Pour devenir un gymnaste scolaire, l’élève doit-il connaître tous les agrès? Un nageur scolaire, les 4 nages? Un pongiste scolaire, tous les coups techniques? Des choix doivent être faits pour permettre à l’élève d’accéder à ce qui est culturel dans un contexte cadencé par un rythme scolaire relativement rapide.
En effet, « tout n’est pas fondamental au même moment ». Dans le contexte spécifique de l’EPS (un temps restreint, un enseignement polyvalent, des élèves parfois peu volontaires….), il est nécessaire que l’enseignant effectue des choix prioritaires dans les contenus à enseigner. Ces choix sont de véritables « pas en avant » dans le chemin d’accès à la culture à s’approprier en EPS.
En natation, la centration sur les bras propulseurs et équilibrateurs en début de cursus s’inscrit dans les préoccupations les plus universelles des athlètes nageurs, se déplacer d’un point à un autre le plus rapidement possible.
En même temps, les nouveaux repères corporels construits par le nageur grâce à des bras de plus en plus efficaces (repères de plus en plus kinesthésiques) sont pour les élèves une vraie promesse d’avenir. Car ils vont leur permettre de se passer progressivement de la vue. Donc permettre à la tête de se fixer durablement dans l’axe du corps pour glisser de plus en plus et maîtriser, à terme, la respiration aquatique.
Élaborer une Forme de Pratique Scolaire (FPS) de l’APSA
1) Définition d’une FPS
La notion de forme de pratique scolaire s’affirme comme une notion nécessaire pour rendre compte de l’originalité et de la singularité des pratiques en EPS. En 2006, Raymond DHELLEMMES (« Formes de pratique scolaire d’APSA: l’émotion, l’espace…et le reste, Cahier du CEDRE n°5, 2006) dans une première tentative de caractérisation souligne que la notion de « forme de pratique scolaire » est un produit empirique fait de contraintes de d’intentions pédagogiques de l’enseignant.
Le contexte institutionnel reprendra cette idée. Le texte programme de la voie professionnelle énonce clairement la nécessité de ne plus copier les pratiques sociales et conjointement les techniques du sportif de haut niveau. « Par la pratique scolaire, réfléchie, adaptée et diversifiée d’activités physiques, sportives et artistiques, l’EPS confronte l’élève à des valeurs de respect d’autrui dans ses différences de culture, de genre, d’aspect corporel, d’habileté, tout en faisant partager les valeurs de coopération et de solidarité. Ainsi, l’EPS contribue à l’accès à cette culture commune, constituée par les pratiques sociales présentées dans des formes scolaires, par les valeurs qui les fondent, par les règles qui les traversent et les régissent. A sa mesure, l’EPS constitue un espace privilégié d’éducation aux rapports humains ».
2) Différencier une FPS d’une situation de référence
Dans un article des cahiers du CEDREPS n°9 en 2010 (« Forme de Pratique Scolaire: proposition d’une démarche de caractérisation et d’illustration »), Serge TESTEVUIDE, Alain COSTON et Jean-Luc UBALDI ont pris le temps de développer et d’essayer de caractériser une forme de pratique scolaire en EPS. Pour cela, ils ont proposé différents points pour différencier la FPS d’une situation de référence et ainsi la dépasser. Pour eux, les FPS en EPS:
- Prennent en référence la nature de l’activité de l’élève confrontée aux exigences culturelles des APSA.
- Ciblent des objets d’apprentissage précis qu’elles organisent dans un cursus. Ces objets sont le produit d’une analyse didactique. Elles renoncent à l’exhaustivité.
- Se construisent par un choix de contraintes encapsulant les objets d’apprentissage choisis. Le choix de l’objet est premier et conditionne la construction de la FPS.
- Collent à l’école dans ses valeurs, sa rigueur méthodologique, en proposant des pratiques qui incorporent les valeurs et les méthodes au sein même de leurs objets.
- Organisent les apprentissages dans la continuité, en essayant de ne pas trop juxtaposer les situations dans une leçon. La FPS est présente, sinon centrale dans toutes les leçons. On apprend et on joue le plus souvent dans la « même » situation.
- Permettent à l’élève de s’éprouver et de se prouver.
Installer l’élève dans un « continuum de sens » pour qu’il apprenne
Tout ne doit pas continuellement changer si nous voulons que l’élève change. Pour cela, la leçon doit présenter des permanences. Nous avons toujours plaidé au sein du groupe CEDREPS pour une EPS de l’anti-zapping qui crée de la continuité et de la permanence.
Cette option est selon nous une des conditions d’une EPS réussie, notamment avec des publics difficiles (J-L UBALDI, Dossier EPS n°40, « Enseigner l’EPS en milieu difficile », 1998). Elle va à l’encontre d’une grande illusion de la profession qui consiste à penser que la motivation des élèves viendrait de la diversité des situations vécues. Pour notre part, le sens se construira dans la stabilité des objets d’étude et des situations.
Si tu souhaites avoir des exemples concrets de cette démarche, tu peux consulter les Cahiers du CEDREPS. Je te propose également un exemple concret de cette démarche dans l’article suivant: Le tennis de table en EPS au collège et au lycée: comment l’enseigner?
Et toi, comment t’y prends-tu pour proposer des objets d’étude à tes élèves? Tu peux partager tes astuces, ta démarche, tes objets d’étude dans les commentaires ci-dessous.
On partage et on progresse ensemble! 😉
Si tu souhaites aller plus loin sur ce thème, tu peux suivre la formation en ligne suivante: