You are currently viewing Enseigner l’EPS en milieu difficile: les 5 astuces de Loïc MALFROY

Enseigner l’EPS en milieu difficile: les 5 astuces de Loïc MALFROY

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Conseils
  • Commentaires de la publication :2 commentaires

Tu trouves qu’il est parfois compliqué de conduire une leçon d’EPS avec des élèves d’un établissement REP ou REP+. Qu’il y a de nombreux paramètres à prendre en compte lors de ta préparation de leçon et ensuite sur le terrain avec tes élèves afin de les faire pratiquer et les faire progresser.

Pour cette nouvelle interview, j’ai eu le plaisir d’échanger avec un collègue EPS qui enseigne depuis le début de sa carrière en milieu difficile. Il sort également le 14 avril 2021 un ouvrage qui relate son expérience et sa première année d’enseignement d’EPS en Seine Saint Denis: il s’agit de Loïc MALFROY.

Il nous partage ses 5 astuces pour essayer d’instaurer un climat de travail serein durant le cours d’EPS, faire pratiquer les élèves et leur permettre de progresser…

Si tu as des questions, des remarques suite à cette interview, tu peux les laisser dans la partie commentaires sous la vidéo YouTube ou dans les commentaires en bas de cet article.

Sans plus attendre, je te laisse prendre connaissance des 5 astuces de Loïc 😉

3 possibilités s’offrent à toi pour suivre cette interview: la vidéo YouTube (clique sur l’image ci-dessous), le podcast (clique sur le bouton bleu) ou l’article.

EPS REP REP+

Tu souhaites écouter cette interview sous forme de podcast? Par exemple, dans les transports en commun ou pendant ton footing, pendant une balade dans la nature…Clique sur le bouton ci-dessous:

Les 5 astuces de Loïc MALFROY pour enseigner l’EPS en milieu difficile

Régis GALEK : Bonjour à toutes et à tous. J’accueille aujourd’hui dans le cadre d’une nouvelle interview pour mon blog EPS Régal un collègue prof d’EPS qui travaille depuis le début de sa carrière dans des établissements difficiles classés REP ou REP+. Il va sortir également très prochainement (le 14 avril 2021) un ouvrage intitulé « Un an en Seine-Saint-Denis, témoignage d’un prof d’EPS débutant ». Il s’agit de Loïc MALFROY. Un grand merci à toi Loïc d’avoir accepté cette interview. Et félicitations aussi pour l’écriture de ce livre qui va sortir très prochainement.

Loïc MALFROY : Merci à toi pour l’invitation. Bonjour à tous. Merci beaucoup de me donner la chance de pouvoir échanger sur un sujet qui me tient à cœur. C’est vrai que c’est une thématique qui me parle puisque depuis le début de ma carrière, comme tu disais, j’enseigne en REP. Donc merci beaucoup !

EPS REP REP+

R.G : Plaisir partagé Loïc. Donc, tu vas nous partager aujourd’hui tes 5 astuces pour enseigner l’EPS en milieu difficile. Mais avant, afin que les gens qui nous lisent aujourd’hui, collègues ou futurs collègues, puissent un peu mieux te connaître, est-ce que tu peux présenter brièvement ton parcours professionnel depuis 2016 ?

L.M : J’ai obtenu mon CAPEPS en 2016. J’ai effectué mon année de stage directement dans un collège en banlieue lyonnaise qui était classée REP. Puis j’ai obtenu ma mutation en Seine-Saint-Denis pendant l’année scolaire 2017-2018 dans un collège REP+. Ensuite, je suis revenu en banlieue lyonnaise. J’enseigne actuellement depuis trois ans dans un collège qui n’est plus classé REP mais qui l’a longtemps été. J’effectue en parallèle un complément de service dans un autre collège qui est lui, par contre, classé REP.

J’enseigne depuis le début de ma carrière dans des milieux difficiles mais je ne me considère pas du tout comme un expert de ces domaines. Il est vrai cependant que j’ai trouvé intéressant de pouvoir discuter de ce thème. Parce que justement quand on débute sa carrière, après un petit bilan de parcours de 5 ans, je trouve ça bien de l’analyser. Donc c’est pour ça que j’ai accepté de venir discuter tout en étant très modeste par rapport à ma participation.

R.G : D’accord, super, merci pour ces précisions. Justement, au regard de tes expériences en établissements REP et REP+, quelles seraient pour toi les 5 astuces pour enseigner l’EPS en milieu difficile ? On parle d’astuces mais on peut dire les choses qui fonctionnent, que tu as testées, qui t’ont marquées et qui fonctionnent bien avec les élèves depuis le début de ta carrière dans ce milieu difficile.

Première astuce : Instaurer un climat de travail serein

L.M : La première chose que je peux constater en tant que professeur, depuis que j’ai démarré, est vraiment l’importance de parvenir à instaurer un climat de travail serein. C’est en réalité nécessaire quel que soit le contexte d’enseignement. Mais c’est quelque chose de plus difficile qu’on ne le croit dans un milieu difficile. Et pourtant c’est super important d’arriver à le faire.

EPS REP REP+

J’ai constaté que la violence dans le milieu scolaire et également dans les cours d’EPS s’invitait régulièrement. Faut dire que les APSA que les élèves sont amenés à pratiquer peuvent les conduire tantôt à présenter une prestation corporelle devant les autres tantôt à affronter un adversaire de manière individuelle ou collective. Et donc il ne faut pas oublier que, contrairement à de nombreuses disciplines, ce que va produire l’élève est visible des autres. Et surtout visible en direct. Et cette exposition constante peut conduire à des moqueries, des provocations, des insultes voire des bagarres. Et c’est pour ça que c’est une nécessité pour moi de garantir un espace de travail paisible et serein où les élèves se sentent en confiance.

R.G : Ce que tu dis, ça me fait penser à une époque durant laquelle j’étais TZR (Titulaire sur une Zone de Remplacement) pendant quinze ans et ma toute première année de remplacement, j’étais en lycée professionnel. Et c’est vrai que quand je faisais pratiquer le badminton, j’avais des élèves de cités aussi et à la fin du match aucun des deux ne voulait s’avouer vaincu ! Et c’est vrai qu’avouer la défaite devant l’autre n’était pas possible avec certains élèves. C’est parfois compliqué dans l’affrontement, comme tu le disais.

L.M : Du coup après, comment faire en tant qu’enseignant lorsqu’on débute ? Je trouve que ce qui est important et ce que j’essaie de faire c’est de montrer l’exemple. En ne tolérant aucun fait, ni agissement négatif d’un élève à l’encontre d’un autre. Et du coup, vraiment prendre le temps de dialoguer sur ce principe fondamental parce qu’en cas d’altercation entre deux élèves, il ne faut pas hésiter à arrêter son cours. Et prendre le temps de revenir sur l’altercation, sur ses raisons, son utilité etc. Et c’est un travail qui prend du temps mais par contre à terme ça fonctionne.

R.G : Pour résumer, tu dirais instaurer un dialogue, peut-être plus que dans un établissement « facile ». Dès qu’un problème survient, essayer vraiment d’en parler avec la classe. Ce qu’on ne ferait peut-être pas forcément dans un établissement un peu plus facile où l’on va peut-être résoudre le problème avec l’élève directement. Mais là tu préconises plutôt d’en parler devant toute la classe.

L.M : Oui c’est ça. Et puis il ne faut pas hésiter à le faire pendant le cours. C’est vrai qu’au début, je me souviens de mes premières années, souvent on se dit qu’il faut que le cours se passe sans problème, que la classe soit toujours calme etc. Mais parfois, il ne faut pas hésiter à arrêter son activité pour vraiment dialoguer avec les élèves. En milieu difficile c’est particulièrement vrai. C’est quelque chose que j’ai pu constater.

Il y a aussi autre chose. C’est la relation qu’on a en tant qu’enseignant avec l’élève. On doit vraiment partir de ce que l’élève fait de positif, ce qu’il réussit. Quand on lui fait un retour en vue d’obtenir une transformation sur ce qu’il fait de moins bien, quand on débute, on a tendance à tout de suite cibler ce qui ne va pas. Pour que l’élève le corrige. Mais on s’aperçoit qu’en le valorisant d’abord, on arrive à obtenir des changements un peu plus facilement et de manière plus durable.

R.G : Sinon il peut se bloquer. Si tu lui fais un feedback directement sur ce qui ne va pas. Alors que là, le fait de valoriser ce qu’il sait bien faire peut aussi le mettre en confiance. Et l’inciter derrière à s’investir davantage.

L.M : Oui c’est exactement ça. Et c’est vrai que tout de suite on sent quand on les bloque. Et c’est beaucoup plus difficile après d’obtenir quelque chose de meilleur pour la suite. Donc au contraire, il faut vraiment prendre le temps de dialoguer, ne pas hésiter à encourager les élèves même si le travail n’est pas parfait. Et toujours cibler ce qui est bien. Et ça c’est vrai que ça s’apprend !

Je trouve qu’instaurer un climat de travail serein, c’est quelque chose de vraiment important. Au début, on va dire que c’est quelque chose qui est plutôt fastidieux ou chronophage. On a même l’impression de ne faire que ça ! De ne presque pas faire cours et de passer le temps à régler des problèmes avec les élèves, de leur remonter le moral. Mais c’est quelque chose qui, au fil de l’année, diminue pour après leur permettre de pratiquer plus. Ça c’était pour la première astuce qui me paraissait essentielle.

R.G : D’accord. Donc tu insistes vraiment sur l’importance d’instaurer un dialogue avec la classe et les élèves. Pour après, même quitte à perdre un petit peu de temps comme tu disais en début d’année, instaurer un véritable climat d’apprentissage par la suite.

L.M : Pour moi c’est quelque chose en tout cas qui a fonctionné. Je trouve que c’est plus facile quand on arrive à une période comme en ce moment, mars-avril par exemple. Si on s’y est tenu depuis le début d’année, il y a des choses qui se mettent vraiment en place par la suite. Mais encore une fois, ça dépend du climat de la classe.

R.G : Il y a aussi des routines qui ont été mises en place. Je crois que ça va te permettre de faire le lien avec ta 2ème astuce 😉

Deuxième astuce : Travailler avec des routines et des rituels

L.M : Merci pour la perche ! Rires

C’est exactement la deuxième astuce que je trouve assez intéressante à utiliser en milieu difficile. Il s’agit de travailler justement avec des routines, autour de rituels. Et c’est vrai que ça peut paraître surprenant mais les élèves aiment avoir un cadre dans lequel ils ont des repères. Parce que ça les rassure. Finalement, j’ai constaté que les élèves y sont habitués. Puisque quand ils vont dans un établissement, leur emploi du temps est fixe. Chaque discipline de cours se déroule dans la même salle correspondante. Les récréations sont toujours à la même heure. Certains prennent toujours le même bus. D’autres font toujours le même trajet à pied pour se rendre à l’établissement, etc.

Donc ils ont des habitudes. Dans les salles de classe, chaque professeur a un fonctionnement différent mais qui va être durable tout au long de l’année.

La difficulté pour nous en EPS est qu’on change souvent d’activité. Le fonctionnement qu’on est amené à mettre en place varie souvent en fonction de l’activité et du lieu de pratique.

Par exemple, si on pratique dans un gymnase ce n’est pas du tout la même chose que si on pratique sur un stade à l’extérieur. Ou encore à la piscine. Et du coup, je trouve que chaque changement d’activité ou de lieu est un peu comparable à une mini-rentrée pour eux.

Et dans un milieu difficile, les capacités d’adaptation des élèves sont beaucoup plus faibles que dans les autres milieux. Par conséquent, les changements sont acceptés plus difficilement. D’où l’intérêt je trouve d’arriver à mettre en place des routines et des rituels qui vont permettre de faciliter ça et de rassurer les élèves.

R.G : D’accord, alors est-ce que tu as quelques rituels ou quelques routines à nous proposer ?

L.M : C’est pareil, ce sont des petites choses que je propose. J’ai réussi à les mettre en place et je les fais avec toutes mes classes, quelle que soit l’activité. Ce sont des routines transversales quel que soit l’endroit où on est. Sauf parfois quand on n’a pas toujours accès aux vestiaires ou autre. Par exemple, quand on arrive en cours je donne aux élèves 5 minutes pour se changer dans les vestiaires avec mon chronomètre en main. Et les élèves savent que s’ils arrivent 6 minutes après alors ils s’exposent à être repris ou à des punitions. Bien sûr, il y en a toujours 2-3 qui vont rester un peu plus longtemps pour discuter ! Mais à force de s’y tenir c’est quelque chose qu’ils intègrent. Et même parfois ils se chronomètrent eux-mêmes !

R.G : Moi je fonctionne comme toi aussi pour les vestiaires. J’ai un chronomètre posé sur le bureau et les élèves disposent aussi de 5 minutes maximum pour se changer. Ils en ont l’habitude et au bout de 2-3 semaines, ils sortent assez vite. Et comme tu le disais, le vestiaire c’est vraiment important parce que c’est un lieu d’échauffourées, de bagarres qui peuvent vite surgir. Surtout avec un public qui n’est pas facile.

Je me souviens quand j’étais collégien moi-même, j’avais justement mon prof d’EPS qui nous disait de ne pas sortir des vestiaires et d’attendre qu’il nous donne l’ordre d’en sortir. On avait certes tendance à se changer assez vite, d’autres un peu moins vite. Mais parfois ça durait 7-8 minutes même 10 minutes avant qu’il vienne nous chercher. Et des fois il y avait des bagarres qui éclataient et des moqueries etc. C’est un lieu où la tension peut vite monter quand il n’y a pas d’adultes en plus. Les élèves sont entre eux donc c’est un moment où il faut être vraiment vigilant, c’est clair.

L.M : Je trouve en plus que ce que tu racontes est particulièrement vrai dans les milieux difficiles. Tu parlais de tensions, etc. C’est vraiment un endroit sur lequel j’ai toujours un œil dessus. Et donc réduire ce temps dans les vestiaires me paraît, en tout cas pour un milieu difficile, vraiment important. Et tu disais que tout ce qui est bagarres, insultes, petites histoires entre élèves éclatent souvent quand il n’y a pas d’adultes autour. Et donc les vestiaires ça en fait partie. Donc oui c’est quelque chose qui est très important.

EPS établissement difficile

R.G : Moi je leur demande de sortir dès qu’ils sont prêts donc les premiers arrivent parfois en quelques secondes. La consigne : 5 minutes maximum et dès qu’ils sont prêts ils sortent et viennent s’asseoir dans le gymnase.

L.M : Voilà je fonctionne exactement pareil.  C’est vrai qu’on se rend compte avec ce rituel que finalement il y a peu d’élèves qui utilisent pleinement les 5 minutes.

R.G : Oui, en 3 minutes ou 3 minutes 30, ils sont tous là en général.

L.M : C’est ça.  Et la dernière chose qui peut marcher à peu près dans toutes les activités c’est aussi un échauffement général stable. C’est-à-dire que je fonctionne beaucoup avec les rituels et gammes athlétiques en aller-retour qu’ils font tous en même temps. Par exemple : talons-fesses, montées de genoux, des choses basiques. Ça peut être parfois perçu comme à l’ancienne mais c’est quelque chose qui cadre dans un milieu difficile. Les élèves sont en cohésion, ils aiment vraiment le faire. Et ça nous assure déjà un réveil musculaire pour pratiquer des activités.

Je trouve qu’au-delà de cet échauffement, pour la sécurité des élèves et de la pratique, c’est vraiment quelque chose qui les met dans l’activité. Dans l’idée d’être en cours d’EPS et de pratiquer. Et c’est même quelque chose qu’ils réclament, voire qu’ils font de manière autonome même dans un milieu difficile. Donc le fait de pouvoir utiliser un échauffement général qui correspond à presque toutes les activités puis après d’aller vers un échauffement spécifique propre à l’activité, c’est aussi une clé qui a marché pour moi.

R.G : Ça rejoint mon interview précédente avec Philippe-Michel SIPEYRE (https://www.epsregal.fr/eps-5-astuces-sipeyre/) qui utilise aussi cela.

EPS college lycee

Il demande à ses élèves de trottiner 5 minutes chacun avec des vitesses bien particulières.  Il leur donne des repères. Et chaque début de cours démarre avec ce rituel de 5 minutes de footing.

L.M : C’est ça. Par contre ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas proposer de nouveauté aux élèves. Ou qu’il ne faut pas les sortir de leur zone de confort. Au contraire. Mais pour le faire, je trouve que c’est intéressant justement de s’appuyer sur des rituels, sur des routines. Pour ensuite essayer de trouver des nouvelles choses. Donc il ne faut pas hésiter à mettre en place ça dès le début de l’année et jusqu’au bout.

R.G : Merci pour ces conseils qui pourront sûrement aider les jeunes collègues qui vont être mutés bientôt en REP ou en REP+. Donc on peut passer à la troisième astuce.

Troisième astuce : faire des émotions ses principales alliées

L.M : La troisième astuce pour moi c’est vraiment de faire des émotions ses principales alliées. En tant qu’enseignant, on sait que les APSA sont des vecteurs d’émotions.

formation tennis de table

Et suivant l’APSA pratiquée, les élèves vont ressentir des émotions qu’ils ne vont pas forcément ressentir dans leur quotidien. Et en milieu difficile, on se rend compte qu’il y a peu d’élèves qui pratiquent des activités extrascolaires. Il y a des études qui montrent par exemple que, particulièrement les jeunes filles dont les parents ont des professions à catégories socioprofessionnelles défavorisées pratiquent très peu d’activités en dehors de l’EPS.

Donc c’est vrai que l’EPS est un moment où on peut leur faire vivre des émotions qu’elles ne vont peut-être pas vivre du tout en dehors de l’école. Comme le plaisir de pratiquer une activité. Le sentiment d’avoir accompli un exploit. Le fait de dépasser peut-être certaines peurs. Réussir une tâche qui paraît impossible est quelque chose d’assez exceptionnel pour certains de nos élèves. Et du coup, ça va les marquer à court terme mais aussi à long terme. Donc je trouve que les émotions c’est quelque chose de vraiment très important à concevoir en tant qu’enseignant.

R.G : C’est ton constat. Du coup, maintenant est-ce que tu peux dire comment tu mettrais ça en place de manière un peu plus concrète ?

L.M : Ce n’est pas quelque chose qui est forcément facile à faire. Mais par exemple le fait de travailler autour de situations ludiques, c’est susceptible de générer plus facilement des émotions. Plus facilement que dans des situations de répétition d’un geste technique par exemple. Je ne dis pas qu’il ne faut absolument jamais travailler en répétition autour de la technique. Mais par contre, dans notre façon d’aborder les situations et les activités, c’est mieux de trouver une forme de plaisir de jeu ou de divertissement. Car ce sont des situations susceptibles de générer des émotions.

Par exemple, en tennis de table. Bon je sais que tu es expert du tennis de table Régis. J’espère que je ne vais pas trop m’avancer en en parlant ! Mais par exemple ce que j’utilisais parfois, c’est un jeu de cartes en parallèle du match. Et certaines cartes donnent une contrainte à l’adversaire, un coup qui interdit d’utiliser par exemple. Ou alors elles vont donner un avantage à l’élève, etc. Ce sont des choses qui vont créer une émulation. Et les élèves vont être très motivés à la fois par la situation en elle-même mais aussi par l’activité qu’on pratique. Et du coup en termes d’investissement et de pratique, on va vraiment voir une participation accrue. Donc ce sont des choses qui pour moi sont importantes et qui peuvent vraiment marcher.

R.G : On met du ludique pour aller vers des apprentissages moteurs. Et ce que tu me disais aussi quand on a préparé l’interview. Tu insistais là-dessus en disant qu’il faut quand même être vigilant. Même si on est en milieu difficile, il est impératif de conserver ce climat d’apprentissage. Effectivement on peut mettre les élèves dans des situations ludiques pour qu’ils s’investissent mais ce n’est pas uniquement du ludique pour du ludique. Ils s’amusent mais on conserve quand même ce climat d’apprentissage et en arrière-fond ne pas oublier les apprentissages qui vont avec !

L.M : C’est ça ! Et il ne faut pas non plus se dire qu’on est en milieu difficile donc qu’il suffit d’occuper les élèves et se détacher de toutes formes d’apprentissage scolaire. Les objectifs restent les mêmes. C’est juste que parfois c’est plus difficile de les atteindre. Mais par contre, il ne faut pas que ça se transforme en récréation. On peut mettre une situation qui est ludique mais par contre ça reste une situation dans laquelle il faut que l’élève se transforme c’est-à-dire avec des contenus d’enseignement, une intervention de notre part en tant qu’enseignant. Bref, des choses cadrées quand même. Parce que sinon, c’est clair que dans un milieu difficile, les élèves vont détourner la tâche très rapidement. Et là on va perdre le fait de leur faire apprendre quoi que ce soit !

R.G : Tu parlais aussi de situations avec paliers quand on a préparé l’interview. Est-ce que tu peux développer un petit peu ?

L.M : Dans la continuité, je trouve que si on arrive également à proposer des dispositifs avec des paliers à franchir, des niveaux à atteindre, l’élève va vouloir essayer de se donner les moyens de franchir le niveau suivant. Et donc quand c’est très clair, quand la progressivité est connue de l’élève, très vite on s’aperçoit que ça les motive. Je me souviens à la fac, on nous disait que ça pouvait être bien par exemple de créer des situations avec un niveau bronze, un niveau argent, un niveau or. Et ça fait partie des choses qui fonctionnent vraiment avec les élèves.

Jean-Luc UBALDI

R.G : Il y a des collègues aussi qui travaillent là-dessus sur l’évaluation. Ils appellent cela l’évaluation par capitalisation. Dès qu’un niveau est validé, on obtient telle note. Ensuite, on travaille pour valider un autre niveau et obtenir telle note. Donc ça rejoint ce que tu es en train de dire.

L.M : C’est ça. Et la dernière chose aussi en rapport avec créer et générer des émotions, c’est que nous, en tant qu’enseignant, on a aussi la capacité de le faire. Dans notre façon d’intervenir auprès des élèves. Par exemple, le fait de se mettre dans la peau d’un acteur. Dans notre formation à l’UFR STAPS, souvent les enseignants nous disaient qu’un professeur doit être capable de jouer plusieurs rôles. Et j’ai constaté maintes fois que c’était vrai ! Et il ne faut pas hésiter, de temps en temps, à exagérer nos propres réactions.

Parfois pour provoquer un rire, ou pour insister sur un enjeu, surprendre les élèves. On peut même s’autoriser aussi de temps en temps un peu d’humour. Attention, il faut toujours que ça soit fait avec bienveillance et équilibre. On n’est pas là pour devenir amis avec les élèves. On joue dans notre intervention pour provoquer une réaction qui va recentrer l’élève sur son apprentissage.

Par exemple, pour rester dans le tennis de table, c’est vrai que parfois certains élèves ont tendance à s’ennuyer. Parce que l’adversaire est un peu moins fort et ça se voit tout de suite. Ils essaient de détourner la tâche, de ne plus être très sérieux. Alors ça peut m’arriver de prendre la raquette et d’affronter les élèves sur 2-3 points. A jouer à mon meilleur niveau, généralement il est un peu plus élevé que la plupart de mes élèves à quelques exceptions près pour ceux qui en font en club. Et du coup, ça me fait gagner 2-3 points contre eux. Ils ont perdu contre leur prof et donc ont envie de prendre leur revanche. Et tout d’un coup ils vont vouloir se ré-entraîner pour essayer de m’affronter à nouveau dans un cours suivant.

Bref, ces petites astuces-là, ça peut les remettre dans la tâche pendant 5-6 minutes. C’est un aller-retour perpétuel entre replacer les élèves dans le cadre et les remettre dans la tâche d’apprentissage. Parce qu’en milieu difficile, on s’aperçoit très vite qu’ils se lassent et qu’ils ont envie de passer à la suite.

R.G : C’est vrai que tu as des élèves parfois qui sont aussi un petit peu provocateurs. Là tu parlais du tennis de table, effectivement moi aussi j’ai des élèves des fois qui me disent en troisième notamment « Allez monsieur, venez je vous prends ! ». Ou alors aussi en course de demi-fond, souvent. Il y a des élèves qui n’aiment pas trop courir et qui disent : « Vous nous demandez de courir mais vous, vous nous regardez juste ! ». Alors c’est vrai, que parfois je le fais, je cours avec eux. Et là on voit le regard des élèves qui change. Ce n’est pas à faire tout le temps, c’est clair mais de temps en temps, pourquoi pas.

L.M : Je trouve que ce que tu viens de dire, ça résume parfaitement l’astuce que je pense être intéressante.  C’est-à-dire de ne pas oublier qu’on incarne quelque chose pour nos élèves. Et il faut toujours jouer avec ça mais comme je disais toujours avec bienveillance en trouvant un juste milieu pour ne pas que ça devienne des récréations. Voilà c’était pour la 3ème astuce, je pense qu’on a fait à peu près le tour !

R.G : Très bien alors on peut passer à l’avant-dernière.

Quatrième astuce : utiliser des supports numériques

L.M : C’est pareil que la précédente, c’est quelque chose que j’ai réussi à mettre en place dans mes cours. Et c’est une chance que d’utiliser une tablette numérique fournie par le collège. Je dis chance parce que c’est assez rare, tous les enseignants ne sont logés pas à la même enseigne selon l’établissement. Donc c’est clair que l’idéal serait d’avoir carrément un chariot complet pour toute la classe, une vingtaine ou une trentaine de tablettes.

Mais déjà le fait d’en avoir une, ça peut permettre certaines plus-values on va dire dans notre enseignement. Parce que le constat est assez évident : c’est une génération qui est dans l’ère du numérique donc particulièrement sensible à son utilisation. Parfois un peu trop d’ailleurs ! Par exemple, lorsque j’explique une consigne seulement avec mes explications, parfois je vois que ça ne prend pas. Il faut que je revienne sur cette consigne et que je recommence.

En revanche, quand j’illustre mes propos par une vidéo, je trouve que l’attention est tout de suite plus forte. La compréhension est plus efficace, plus réussie. Et du coup, ça peut parfois atteindre notre égo d’enseignant ! Parce qu’on se demande pourquoi nos consignes ne suffisent pas simplement ? Du coup, il conviendrait plutôt de le voir comme un support à notre intervention. Et travailler avec ce support numérique permet d’augmenter la capacité d’attention des élèves.

R.G : D’accord. Alors concrètement tu fais quoi ? Tu les filmes dans certaines APSA ou toutes les APSA ? Tu fonctionnes comment ?

L.M : C’est quelque chose que je suis en train de mettre en place, je n’ai pas encore tout testé. Aujourd’hui, il y a beaucoup de travaux qui sont en train d’émerger là-dessus. Et il y a de grandes possibilités à explorer. Ce que je fais souvent c’est que je propose aux élèves d’être filmés. Par exemple sur un échange qu’ils peuvent faire au badminton ou dans la façon de transmettre un témoin en course de relais.

numérique EPS

Cela permet deux choses : la première c’est que quand les élèves savent qu’ils sont filmés, ils essaient de s’appliquer encore plus. Parce qu’ils veulent être assez fiers d’eux quand ils verront la vidéo !

Et la deuxième chose, c’est quand ils vont venir voir la vidéo, je trouve que c’est un bon moment pour essayer de les questionner. Leur faire décrire ce qu’ils font. Et tout de suite, ça les amène à prendre du recul. Ils ont un processus de réflexion qui se met en place. Et on se rend compte qu’en milieu difficile, ce sont des choses qui sont assez dures à obtenir. Du coup, ce sont des choses qu’on essaie de rechercher en tant qu’enseignant particulièrement quand on débute. Attention, il ne faut pas non plus que ça soit un piège où l’élève doit s’enfermer dans la vidéo. Mais ça peut être une première étape pour lui permettre de prendre du recul sur sa propre pratique.

R.G : Est-ce que tu n’as pas de problème avec l’image de soi pour certains élèves en milieu difficile ?

L.M : C’est vrai que c’est un thème avec lequel il faut prendre des précautions. C’est-à-dire que je pense qu’il ne faut pas imposer aux élèves de les filmer. Il faut d’abord leur demander s’ils sont d’accord. Les choses doivent être claires pour eux : ils sont filmés mais après le visionnage et le débriefing, la vidéo est supprimée devant eux. Dans ce cas, je m’aperçois que la plupart du temps ils sont plutôt à l’aise. Ils voient que ça leur permet de progresser. Et donc du coup j’ai rarement des refus de la part des élèves. Il faut juste être très clair dans la démarche dès le début.

R.G : Tu commences peut-être par des activités comme le tennis de table ou le badminton dont tu parlais tout à l’heure avant de basculer sur des activités type gym ou natation dans lesquelles le corps est encore davantage exposé au regard de l’autre.

L.M : Ça c’est sûr. C’est vrai qu’il y a des activités qui s’y prêtent beaucoup plus que d’autres. Il y a des activités où les élèves sont beaucoup plus à l’aise que d’autres. Et ça c’est important de respecter ce processus. Parce que le fait de se voir pratiquer c’est quelque chose qui n’est pas facile. Et en particulier quand on est au moment de l’adolescence, quand on n’est pas forcément toujours à l’aise avec son corps. Et donc en tant qu’enseignant nous devons le respecter. Et quand les élèves sentent qu’on est dans une démarche bienveillante, ils vont eux-mêmes, pour la plupart, venir réclamer cette possibilité d’être filmé.

R.G : D’accord, tu me parlais aussi quand nous avons préparé cette interview de numériser des feuilles de matchs notamment ?

L.M : Oui c’est un outil que j’utilise depuis 1 ou 2 ans. Quand les élèves sont en observation par exemple sur leur terrain ou leur table, je vais leur demander d’arbitrer. Une personne a donc le rôle d’arbitre et va venir à mon bureau remplir les informations sur la tablette. Ces dernières vont lui donner tout de suite l’ordre des matchs : qui est arbitre, qui se repose, qui observe.

Cela permet de nous libérer du temps en tant qu’enseignants et centraliser les informations. Du coup, on peut à la fois voir rapidement ce qu’il se passe sur tous les terrains au niveau de notre tablette. Et en même temps, ça permet de circuler d’un terrain à l’autre pour pouvoir aider les élèves. Je trouve que ça libère du temps sur le côté vraiment didactique-pratique des élèves sur notre intervention. Et ça, en milieu difficile c’est du temps précieux ! On se rend compte qu’il y a des moments où on doit gérer l’autorité et la discipline et il nous reste peu de temps pour finalement aider les élèves. Et quand on arrive à mettre en place cela grâce à des outils comme une tablette, ça peut permettre de libérer du temps. Et donc, c’est intéressant à utiliser dans notre enseignement.

TICE EPS REP REP+

R.G : Est-ce que tu es d’accord pour dire que le numérique doit quand même toujours rester au service des apprentissages moteurs, même en milieu difficile ?

L.M : Tout à fait. Je trouve que c’est une dérive sur laquelle il faut faire très attention. Parce que le but quand même de l’EPS reste de faire pratiquer nos élèves. Il ne faut pas tomber dans une dérive où sous prétexte que l’on veut mettre en place des outils numériques, tout doit se transformer avec des tablettes, des vidéos etc. Lorsque l’outil est utilisé de manière organisée et restreinte qui sert l’apprentissage alors c’est une réelle plus-value.

Par contre, ça peut se transformer en dérive donc c’est pour ça qu’il faut être prudent. Mais il faut aussi accepter de se lancer. C’est vrai que quand on n’a pas l’habitude au début c’est peut-être quelque chose qui va nous demander de nous y reprendre à plusieurs reprises, de mettre en place des choses. Mais bon pour moi, ça fait maintenant deux ans que j’ai la tablette et je commence à en voir les bénéfices.

R.G : D’accord alors on peut passer à la dernière astuce.

Cinquième astuce : être accessible pour les élèves

natation EPS

L.M : Du coup pour la dernière astuce ça serait d’être accessible pour les élèves.  Comme on le disait tout à l’heure, c’est vrai qu’on incarne une certaine entité emblématique pour les élèves. On est parfois considéré par certains comme un modèle, comme une figure d’autorité ou encore comme une présence rassurante. Bon, c’est très variable d’un élève à l’autre mais il y a globalement peu d’élèves qui nous perçoivent accessibles. Attention ça ne veut pas dire qu’il faut devenir ami avec les élèves ! Mais toutes les fois où je parviens à entrer un peu dans leur monde d’élèves, à me mettre un peu à leur niveau, je trouve que mon intervention est de meilleure qualité et que je suis plus efficace. Cela passe par des petites astuces.

Par exemple, ne pas hésiter à se mettre à leur niveau quand on s’adresse à eux pour transmettre une consigne par exemple. Je me souviens que lorsque j’ai démarré (et d’ailleurs c’est quelque chose que m’avait fait remarquer mon tuteur de stage), j’avais tendance à toujours rester derrière mon bureau debout. Pour avoir la sensation de tenir ma classe, pour contrôler. Et parfois on s’aperçoit que simplement en passant de l’autre côté du bureau, tout de suite, l’attention n’est pas la même. Les élèves nous perçoivent autrement et du coup on fait passer un message qui est plus clair. C’est quelque chose qui est facile à mettre en place et qui peut donner beaucoup de facilité à l’enseignant.

R.G : Oui, se rapprocher des élèves, ne pas hésiter à aller les voir, ne pas laisser forcément une grande distance et parfois se rapprocher.

L.M : Oui et toujours dans cette idée-là, l’autre petite astuce pour être un peu plus accessible auprès des élèves (tu en parlais tout à l’heure avec le fait de courir), c’est par exemple de montrer un peu ce que l’on est capable de faire. Le fait de pouvoir pratiquer avec les élèves lorsque le contexte de classe et l’activité pratiquée le permettent. Puisque parfois le problème avec les milieux difficiles c’est que le contexte de classe est un peu tendu et donc en tant qu’enseignant, il faut qu’on assure une certaine sécurité et on ne peut pas se permettre de pratiquer. Mais quand c’est possible, on le fait.

Par exemple en tennis de table, c’est quelque chose qui est quand même faisable. Et ça peut permettre tout de suite de donner une image plus accessible de nous aux élèves. On parlait du fait d’affronter un élève sur 2-3 points avec une raquette en main mais ça peut être aussi le fait de s’échauffer avec les élèves. On peut passer par plein de petites astuces. Et on s’aperçoit que parfois l’investissement d’un élève passe aussi par la relation qu’il a avec nous. Ou qu’il pense avoir avec nous en tout cas.

Les élèves marchent beaucoup à l’affectivité. C’est une relation qui est assez volatile c’est-à-dire que d’un cours à l’autre, en fonction de la remarque qu’on lui aura faite par exemple, l’élève peut ne pas vouloir pratiquer. Parce qu’il n’est pas forcément en accord avec une remarque que l’enseignant lui a faite. Donc le fait d’être accessible pour eux, c’est une façon d’amener les élèves à nous voir autrement et à pratiquer beaucoup plus.

R.G : Oui, d’accord, l’idée c’est vraiment de créer des liens, d’avoir une relation « assez proche », briser la glace pour permettre aux élèves de voir le prof autrement et s’investir dans l’activité et dans le cours d’EPS.

L.M : C’est exactement ça et c’est parfaitement résumé…

R.G : Alors je résume tes 5 astuces. La première serait d’instaurer un climat de travail serein. La deuxième, travailler avec des routines et des rituels. La troisième faire vivre des émotions fortes aux élèves par exemple réussir une tâche, accomplir un exploit, dépasser ses peurs au travers des différentes APSA pratiquées. Ensuite la quatrième, utiliser les supports numériques. Et la cinquième, être accessible pour les élèves.

Sur quoi t’es-tu appuyé principalement pour présenter tes 5 astuces ? Est-ce que c’est uniquement ton expérience depuis 5 ans ou alors des ressources théoriques également ?

CAPEPS

L.M : Déjà il est évident que je n’ai rien inventé. Tout ce que j’ai dit, ça découle de la formation que j’ai eu à la fac en STAPS. Et tout ce que j’ai appris en théorie, sur les façons d’intervenir, sur ce qui permet de mettre en valeur la réussite des élèves, de les motiver etc.

Ensuite, ça découle aussi du travail de certains auteurs. Et de certains collègues qui travaillent sur tel ou tel sujet. Et enfin, c’est ce que moi personnellement en tant qu’enseignant débutant j’en ai fait dans ma pratique sur le terrain. C’est-à-dire en testant des choses. En constatant ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. Et c’est en faisant cette relation entre la théorie (qu’on a appris à la fac) et la pratique qu’on vit au quotidien que j’ai réussi à proposer ces 5 astuces.

C’est sur cette relation entre la théorie et la pratique qu’il faut insister. Parce que c’est vraiment au cœur de beaucoup de débats. Et notamment lorsqu’on débute, souvent on a du mal. On se dit que tout ce qu’on a appris à la fac, quand on travaille en milieu difficile, on ne peut rien mettre en place. Ce qui nous importe c’est de ne pas se faire marcher dessus, d’avoir l’impression d’avoir le contrôle du cours.  Et parfois, on a tendance un peu à mettre la théorie au placard ! On n’utilise pas certains cadres qu’on aurait pu voir en formation car on est concentré sur la possibilité que les élèves transgressent les règles dans le cours d’EPS. Est-ce que toi tu as pu constater la même chose ?

R.G : Tout à fait, c’est vrai que ce que tu es en train de dire là me rappelle une anecdote. Quand j’ai démarré en LP, dans ma tête, pour avoir vécu des cours d’EPS en tant qu’élève et en ayant fait aussi des stages dans des établissements scolaires avant de passer le CAPEPS, je me disais que de toute façon les élèves vont venir et s’asseoir pour l’appel, c’est normal. Mais quand j’ai démarré avec ma première classe de Bac pro (les élèves avaient pour certains un ou deux ans de moins que moi donc de grands gaillards !), au premier cours, ils sont arrivés et sont tous restés debout.

Et là, je leur ai demandé : « Mettez-vous assis, on va faire l’appel » mais personne n’a bougé ! Ils sont tous restés debout et je leur ai demandé pourquoi ils ne s’asseyaient pas. Ils m’ont répondu que le gymnase était sale et qu’ils n’allaient pas s’asseoir ! Quand on sort à peine du concours et qu’on prend ça en pleine face du coup c’est vrai qu’au niveau gestion de classe tout de suite on est mis en difficulté. Et ce, dès le début du cours, à un moment du cours (appel) où on n’a même pas vraiment commencé ! En plus de ça j’avais une classe de BAC pro, donc que des gars de 20 à 22 ans. En début de carrière, cette situation est assez déstabilisante et on n’a pas forcément les réponses immédiates pour gérer la situation.

L.M : C’est ça et je trouve que là tu résumes ce que beaucoup d’enseignants ont pu vivre. En tout cas une situation un peu comparable. Du coup, le réflexe que j’ai eu est de se dire qu’il y a ce qu’on a appris en théorie et puis ce qu’il se passe vraiment dans la pratique. En gros, on dissocie les deux et on abandonne la théorie.

Par exemple, je me souviens, il y a eu toute une phase où je ne préparais plus mes cours. Je me demandais à quoi ça servait de préparer des cours puisque de toute façon dès que j’essayais de mettre quoi que ce soit en place, c’était automatiquement détruit par l’élève ! C’est un mauvais réflexe certes, mais qui en même temps est assez naturel quand on débute parce qu’on veut se protéger. On veut essayer de faire en sorte que ça se passe bien et que les élèves se plient à des règles. Par exemple, le fait de les faire asseoir. Du coup, on en oublie un peu notre rôle d’enseignant qui est de faire pratiquer les élèves. De leur transmettre certains contenus d’enseignement pour qu’ils progressent dans la pratique. Qu’ils développent leur motricité, la culture etc.

Et c’est vrai qu’on a tendance à dissocier ces deux choses alors que si on regarde dans certains travaux d’auteurs, on retrouve à chaque fois ces concepts donc elles découlent bien d’une théorie. A chaque fois il y a un lien mais c’est juste que ce lien ne se fait pas facilement.

Je trouve qu’on devrait insister là-dessus dans la formation. Quand je vois dans certaines disciplines des étudiants futurs professeurs qui n’ont accès à du contenu pédagogique autour de la gestion de l’élève que sur la toute fin de leur formation, je me dis qu’on n’a pas encore vraiment compris les problématiques que rencontrent les enseignants débutants !

En sachant que beaucoup d’enseignants débutants enseignent en milieu difficile. En EPS, c’est vrai qu’on est un peu en avance sur certaines disciplines. On a plusieurs stages en établissement. A la fac, on a des cours sur la pédagogie. Mais je crois qu’on est quand même assez en retard par rapport à ce qui se passe au début d’une carrière. Si on arrivait à réduire cet écart entre théorie et pratique et que les liens se fassent beaucoup plus naturellement, je pense que ça permettrait plus de facilité lorsqu’on est débutant.

R.G : Partir davantage des problématiques de terrain qu’on peut rencontrer en début de carrière, je suis d’accord.

L.M : Je trouve que la formation essaie de le faire. Il y a des choses qui sont mises en place. On a l’impression que la formule « Partir des pratiques de terrain », c’est quelque chose qu’on entend de plus en plus. Mais il y a vraiment une différence entre essayer de trouver absolument un lien entre la théorie et la pratique et partir de situations concrètes comme celles que tu décrivais. Il faudrait qu’on puisse discuter et donner des clés aux jeunes enseignants : qu’est-ce qu’on fait si la classe refuse de s’asseoir par exemple ? On a l’impression que ce sont des détails mais ce ne sont pas des détails. Il faudrait qu’on ait un travail dessus à la fac et ce n’est pas encore le cas même si ça commence, je trouve, à prendre forme quand même.

R.G : On lance des pistes, pour l’avenir, pour la formation.

D’après toi, avec ton expérience, quels seraient les difficultés et les avantages d’enseigner l’EPS en milieu difficile ?

EPS tennis de table

Les avantages d’enseigner l’EPS en milieu difficile

L.M : C’est une question difficile parce que je crois que ça dépend beaucoup de la personnalité que l’on a en tant qu’enseignant. Je pense qu’on pourrait être tous d’accord pour dire que le sentiment de compter en tant qu’enseignant est peut-être plus fort dans les milieux difficiles. Et le sentiment de compter c’est quelque chose qui est assez formidable dans ce métier. On a l’impression que qu’avec de petites actions parfois, de manière très modeste, on va vraiment apporter quelque chose à l’élève et c’est perceptible. En milieu difficile, ces moments-là peuvent apparaître assez régulièrement. Et je trouve que l’on peut appeler ça un avantage, c’est positif et il faut insister dessus.

R.G : Je pense aussi que tu as une solidarité qui se crée entre les collègues quand tu enseignes en milieu difficile. Personnellement, je n’ai pas enseigné énormément en milieu difficile mais j’ai fait 2 LP dont un qui était vraiment chaud dans la banlieue de Metz. Et c’est vrai qu’entre collègues, on était soudé. Il y avait une véritable solidarité, de l’entraide au sein de l’équipe EPS. Mais aussi dans les autres équipes pédagogiques. Et c’est quelque chose qu’on ne retrouve pas forcément dans des établissements on va dire un peu plus « faciles ».

L.M : C’est vrai que c’est une bonne remarque. Et puis ça me fait penser à quelque chose qui m’avait beaucoup marqué quand j’avais été justement muté en Seine-Saint-Denis dans un établissement REP+. Il y avait énormément de nouveaux enseignants, beaucoup de jeunes qui démarraient. Et donc, tout de suite, on se sent lié de manière naturelle puisqu’on a l’impression de vraiment vivre la même situation. On vient tous de sortir du concours quelle que soit notre discipline et hop, c’est le saut dans le grand bain! Avec des problématiques concrètes. Et donc c’est justement ça qui créé cette forme de solidarité dont tu parlais. Ça fait partie des choses positives qu’on peut retrouver. Peut-être pas dans tous les établissements en milieu difficile mais en tout cas dans une bonne partie, en effet.

Enseigner l’EPS en milieu difficile : les difficultés

Pour ce qui est des difficultés je trouve que ça dépend vraiment du professeur. En ce qui me concerne, je ciblerais deux éléments principaux : le premier c’est vraiment d’avoir l’impression de gravir une montagne dont on ne verrait jamais le sommet! Ou autrement dit de ramer à contre-courant.

On a l’impression parfois de déployer beaucoup d’efforts et que ces efforts se révèlent un peu vains. Ce qui n’est pas le cas mais les changements n’apparaissent pas toujours de suite. Ils sont très lents. Et parfois on retrouve un élève 2 ans après et on s’aperçoit de certains changements à ce moment-là. Parfois ils apparaissent pendant l’année scolaire.

Ce sont des choses qui sont assez difficiles à vivre parce qu’on a l’impression, parfois, d’être un peu inutile. Je pense notamment que la violence verbale et le langage de beaucoup de nos élèves avec beaucoup d’insultes par exemple n’aide pas. Et le fait de les reprendre sur l’inutilité de s’exprimer avec des insultes ne sert à rien. On a l’impression que l’élève a compris, on a discuté cinq minutes avec lui et puis trois minutes après, il va balancer des insultes encore plus grosses!

Là on se demande si cela sert vraiment à chaque fois de reprendre les élèves. Je crois que la réponse est oui mais c’est juste que quand on a la tête dans le guidon, on a parfois tendance à baisser les bras et c’est un sentiment qui est assez cruel. Quand on débute surtout, on doute sur l’impact que l’on peut avoir sur ça.

La deuxième difficulté que je peux rencontrer, c’est sur le fait de préparer une intervention. Préparer des cours, passer du temps, mettre en place un dispositif et tout ce qui va avec. Puis s’apercevoir que parfois en l’espace de quelques minutes voire quelques secondes tout part en fumée avec un élément imprévu ! C’est aussi quelque chose de cruel quand on démarre parce qu’on ne comprend pas ce qu’il se passe. On se remet en cause automatiquement. Et c’est « une difficulté » dans un milieu difficile. Il faut accepter justement parfois de prendre du recul et de se dire que peut-être avec un autre enseignant ça aurait été la même chose. Qu’est-ce que tu en penses ?

R.G : Moi j’ai ressenti que c’était quand même difficile d’anticiper. Effectivement tu prépares ton cours d’EPS mais tu sais qu’à n’importe quel moment il peut se passer quelque chose. Moi, j’allais dans ce fameux LP tous les matins et dans la voiture je me demandais ce qu’il allait bien pouvoir se passer aujourd’hui dans le cours ? Une bagarre peut éclater comme ça d’un instant à l’autre. Ce n’est pas évident car on a l’impression de ne pas vraiment avoir le contrôle sur la classe.

Et je pense qu’il faut l’accepter malgré le fait de mettre en place des règles avec des élèves, etc. C’est vrai que la situation peut vite nous échapper donc ça engendre aussi un certain stress par moments. On a le sentiment de ne pas avoir vraiment le contrôle sur la classe en milieu difficile. On ne retrouve pas forcément cette impression dans d’autres établissements où on a mis des règles en place et on sait que ça ne risque pas de bouger normalement. Même si parfois ça peut arriver mais il y a peu de risques. Alors qu’en milieu difficile, c’est vrai que ça peut partir on va dire d’un instant à l’autre !

L.M : Oui c’est exactement ça : l’imprévu. Il faut accepter le fait qu’on ne peut pas tout prévoir. Et qu’on reste des êtres humains. Et que d’un cours à l’autre, il peut se passer des choses que l’on n’aurait pas pu de toute façon prévoir. Mais ça n’empêche pas, quand on débute, de prendre les choses très à cœur. Et de se sentir tout de suite très responsable de chaque chose qui apparaît.

En introduction tout à l’heure, j’ai parlé de ton livre qui sort le 14 avril 2021. Je voulais savoir ce qui t’a motivé à raconter cette première année que tu as passée en tant qu’enseignant d’EPS en Seine-Saint-Denis ?

Enseigner EPS REP+

L.M : Déjà, je n’avais pas du tout l’idée d’écrire un livre avant de partir et d’avoir une expérience d’un an d’enseignement là-bas. C’est venu au moment où j’ai obtenu une mutation de retour. Quand j’ai su que j’allais quitter le département.  Je me suis dit : tiens, ça s’est pas du tout passé comme prévu.

Lorsque j’étais étudiant et que j’essayais d’obtenir mon concours, j’appréhendais l’idée de devoir subir cette première mutation, qui en EPS en général est obligatoire surtout quand on débute et qu’on sort à 23-24 ans de l’école ! Ce qui m’a particulièrement marqué, en prenant du recul, sur ce que j’ai vécu en Seine-Saint-Denis, c’est que c’était une expérience qui n’est pas toujours facile à vivre.

Mais il y a tout un tas d’éléments positifs auxquels on ne pense pas. Et qui sont pourtant bien présents quand on enseigne au quotidien là-bas. Et je ne sais pas si on peut parler d’avantages ou d’inconvénients d’enseigner là-bas, mais moi je parlerais plutôt d’émotions. Passer par la Seine-Saint-Denis c’est vivre tout un tas d’émotions professionnellement parlant.

Alors, bien sûr, il y a la tristesse parfois, il y a la colère, le désespoir mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi la joie, le sentiment de progresser, des rires, des bons moments partagés en tant qu’enseignant notamment avec nos élèves. Et c’est exactement le message que j’ai voulu faire passer à travers ce livre. C’est qu’il n’y a pas que des moments difficiles, c’est bien plus complexe et bien plus riche que ça.

Voilà c’était donc partager un témoignage d’une expérience courte mais intense à ceux qui voudront bien s’y intéresser. Et je crois que cette nuance est importante par rapport à ce qu’on peut entendre ou lire parfois à propos de ce genre d’endroit comme la Seine-Saint-Denis. Bien qu’il y ait d’autres endroits ou milieux difficiles réputés ailleurs.

Je trouve que c’est une façon d’insister sur la nuance. C’est pour ça que j’ai eu cette idée d’écrire un livre. Je trouvais que le support était intéressant parce que ça permettait de développer le propos et de montrer toutes les phases par lesquelles on passe en tant qu’enseignant. Si j’avais simplement relaté tout cela dans un texte il aurait été plus compliqué de développer. C’était plus naturel d’écrire quelque chose de plus long pour montrer les étapes.

R.G : D’accord, donc l’idée c’est de partager ton expérience pour aider les futurs collègues qui vont aller là-bas éventuellement.

L.M : C’est ça. Et tout en retenant bien que c’est une expérience parmi des milliers d’autres. Mon regard en tant qu’enseignant est unique donc il y a tout un tas d’autres enseignants qui pourraient témoigner d’autres choses. C’est juste pour montrer que parfois, ça ne se passe pas aussi mal que ce qu’on dit. C’était une façon de participer, de contribuer de manière modeste à prendre un peu de recul aussi sur cette fameuse mutation. Et à essayer de l’envisager autrement

« Un an en Seine-Saint-Denis, témoignage d’un prof d’EPS débutant » : pour les personnes intéressées, où peuvent-elles se procurer ce livre ?

EPSRegal-Loic MALFROY

L.M : Mon livre sort le 14 avril 2021 en autoédition. Et du coup, vous pouvez passer par internet, par toutes les grandes enseignes et également dans la plupart des petites librairies de France dans lesquelles il suffira juste de le commander.

En tout cas je te remercie de m’avoir laissé le présenter brièvement. Parce que je trouvais qu’il était lié aussi à cette thématique. Donc merci beaucoup de me donner l’opportunité d’en parler !

R.G : Avec plaisir, l’idée est vraiment de partager 😉 Moi aussi sur mon blog, je partage des astuces concrètes pour préparer ses cours d’EPS ou un concours et aider les collègues ou futurs collègues. Comme tu disais, modestement mais avec des choses concrètes et qui fonctionnent ou qu’on a testé sur le terrain. Et ensuite l’idée bien entendu c’est d’essayer de les reprendre. On y parle d’astuces mais bien entendu il faut toujours adapter au contexte de son établissement, aux caractéristiques de ses élèves. Et ne pas reprendre des astuces comme ça telles quelles et toujours bien entendu s’adapter. Je pense que tu es d’accord avec ça aussi ?

L.M : Totalement. C’est exactement ça. Et je trouve ça très important de pouvoir justement échanger entre collègues. Et je trouve qu’en EPS, on a quand même une bonne dynamique par rapport à ça. On peut trouver pas mal d’informations, de petites clés comme ça, donc je trouve ça positif.

R.G : D’accord, super. En tout cas merci beaucoup pour cette interview. Et pour le partage de tes 5 astuces qui, j’espère, vont aider les futurs collègues qui vont être mutés dans un établissement REP ou REP+.

Je te souhaite du succès avec ce futur ouvrage. Et encore félicitations à toi pour l’écriture, je sais ce qu’est l’aboutissement d’un tel projet qui prend des dizaines et des centaines d’heures. Donc tu dois être content aussi d’avoir finalisé ce projet.

L.M : Oui c’est ça, j’ai vraiment hâte que ça sorte. Merci beaucoup en tout cas pour ce petit moment et puis merci aux personnes qui ont lu cet article.

R.G : Bonne continuation à toi Loïc et puis comme tu disais merci à tous les collègues qui ont lu cette interview ! On se dit à bientôt pour une nouvelle interview et le partage de nouvelles ressources 😉

Allez, au revoir 😉

ressources EPS college lycee

Cet article a 2 commentaires

  1. Martial Leclercq

    Tout ce qui a été dit est tout à fait vrai et je partage absolument le même point de vue que Loïc dans l’enseignement de l’EPS en milieu difficile.
    Etant enseignant en REP+ depuis mes débuts (2018), je me retrouve sur les nombreux points décrits (l’instauration de routines, l’accessibilité auprès des élèves, faire vivre des émotions aux élèves, la mise en place d’un cadre de travail serein, etc…
    Et je trouve la description des avantages et des inconvénients issues de l’enseignement en REP+ d’autant plus vraie.
    Bien que nous pouvons vivre des situations totalement inattendues et difficiles à vivre, nous partageons aussi des moments riches en émotions avec les élèves et la relation professeur/élève peut devenir vraiment très plaisante.
    Merci pour ce témoignage.

  2. regis

    Merci pour ton retour d’expériences Martial…qui confortent les propos de Loïc 😉 Bonne continuation à toi! Au plaisir d’échanger 😉

Laisser un commentaire